L'International Academy of Montion Picture Arts and Sciences (qui perdra le terme International) ou AMPAS est fondée à l'Ambassador Hotel de Los Angeles le 11 janvier 1927. Comptant à l'origine 36 membres, elle tient un banquet officiel au Biltmore Hotel le 11 mai de la même année, et recrute 230 nouveaux membres du milieu du cinéma (avec un coût d'entrée de $100). L'Académie (d'où les Academy Awards) est ainsi fondée.
La première cérémonie de remise de prix s'est déroulée le 16 mai 1929 au Hollywood Roosevelt Hotel à Los Angeles. Elle a honoré les meilleurs films d'août 1927 à juillet 1928. Le coût d'entrée du banquet privé est fixé à $5, et plus de 270 personnes y assistent. Il n'y a toutefois que peu de suspense, puisque les gagnants ont été annoncés trois mois plus tôt. Ce n'est en effet qu'en 1942 que le résultat du vote secret de l'Académie a été dévoilé pour la première fois le jour de la cérémonie, comme c'est le cas aujourd'hui. Ce faisant, la cérémonie de remise de prix n'aura duré que cinq minutes, et l'hôte de la soirée est nul autre que Douglas Fairbanks, le président de l'AMPAS. Il s'agit de la seule cérémonie qui ne sera pas diffusée ni à la radio ni à la télévision.
La statuette bien connue aujourd'hui, l'Oscar, a été conçue par Cedric Gibbons, directeur artistique de la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), sous commande de Louis B. Mayer (fondateur de la Louis B. Mayer Pictures Corporation, aujourd'hui fusionnée dans la MGM). C'est toutefois le sculpteur George Stanley qui a réalisé les statuettes en se basant sur les plans de Gibbons, tâche pour laquelle il a été payé $500. C'est à Mayer que revient en fait l'initiative d'une telle cérémonie, avec laquelle il voulait unir les cinq branches de l'industrie cinématographique : les acteurs, les réalisateurs, les producteurs, les techniciens et les scénaristes. Toutefois, le terme "Oscar" ne sera pas employé avant 1939, et l'origine de son nom est assez mystérieuse.
La première édition des Oscars comportait 12 catégories, dont les nommés (l'appellation "mention honorable" était plutôt utilisée à l'époque) ont été annoncés en février 1928. En août de la même année, Mayer a contacté l'Academy Central Board of Judges pour voter les gagnants. Toutefois, seuls les membres fondateurs de l'AMPAS (Fairbanks, Mayer, Sid Grauman, Mary Pickford et Joseph Schenck) ont pu se prononcer sur le récipiendaire de l'Oscar du meilleur film, ou plutôt des meilleurs films, puisque cette première édition est la seule à avoir sacré deux films (dans les catégories Most Outstanding Motion Picture Production et Most Unique, Artistic, Worthy and Original Production).
Pour chacune des catégories, seulement un gagnant et deux finalistes ont été annoncés. Il s'agit également de la seule édition qui pouvait récompenser un artiste pour son travail dans plus d'un film. Ainsi, par exemple, Emil Jannings a remporté l'Oscar du meilleur acteur pour ses rôles dans The Last Command et The Way of All Flesh. À l'opposé, George Marion, Jr. a été sélectionné dans la catégorie "Meilleurs intertitres" sans associer son travail à un film en particulier.
C'est sans grande surprise que les plus gros studios de l'époque (Fox, MGM, Paramount, Radio-Keith-Orpheum (RKO) et Warner Bros.) ont reçu la majorité des nominations et des prix. Il en sera de même pendant plusieurs années, avant que les cinémas international et indépendant puissent effectuer une percée au sein de l'Académie.
Most Outstanding Motion Picture Production (Meilleur film)
Communément appelée "Meilleur film", le premier gagnant de cette catégorie est la méga-production Wings, le film le plus coûteux de son époque ($2 millions). Le film est depuis devenu un classique du cinéma muet, notamment en raison de ses scènes aériennes spectaculaires et ses effets spéciaux novateurs. Il est ainsi le seul film de l'époque du cinéma muet à remporter les grands honneurs (The Artist est le second film muet à s'être vu attribuer la statuette en 2012). Le film raconte l'histoire de deux amis pilotes d'avion qui se tirent accidentellement l'un l'autre. William A. Wellman est seulement l'un des quatre réalisateurs à voir son film remporter l'Oscar du meilleur film sans être lui-même nommé dans la catégorie de la meilleure réalisation. Les autres sont F.W. Murnau (Sunrise, 1927), Edmund Goulding (Grand Hotel, 1932) et Bruce Beresford (Driving Miss Daisy, 1989).
Des deux autres films en compétition, seul 7th Heaven est moindrement connu encore aujourd'hui. Il raconte l'histoire d'amour en temps de guerre entre Chico (Charles Farrell), un balayeur de rue, et Diane (Janet Gaynor), alors qu'il sauve la vie de cette dernière. C'est le film avec le plus de nominations à la première cérémonie des Oscars (5), en plus d'être celui qui en remportera le plus (3). The Racket de Lewis Milestone (en lice pour la meilleure réalisation - comédie, mais pour Two Arabian Knights) raconte quant à lui l'histoire d'un policier honnête qui tente d'arrêter un contrebandier d'alcool protégé par des politiciens et des juges corrompus. Sa présence dans cette catégorie est assez saugrenue, puisque c'est sa seule nomination de toute la compétition (fait assez rare lorsqu'on est nommé comme meilleur film!)
Most Unique, Artistic, Worthy and Original Production (Meilleure production artistique)
Cette catégorie, considérée à l'époque comme un 2e "Meilleur film", n'aura finalement été présente qu'à la première cérémonie des Oscars. Elle sera en effet abolie dès l'année suivante. Question de préserver une certaine continuité, Wings est considéré comme le premier vainqueur de l'Oscar du meilleur film. Il ne faut cependant pas reléguer Sunrise aux oubliettes pour autant, puisque sa victoire en 1929 représente véritablement les grands honneurs de la cérémonie, au même titre que la précédente catégorie. Ce sont seulement des films qui ont excellé tout en n'optant pas pour une formule plus traditionnelle du cinéma de l'époque.
Sunrise : A Song of Two Humans est l'un des plus grands films de la courte mais prolifique carrière de F.W. Murnau (Nosferatu), et possiblement le meilleur film de 1927. Il s'agit d'un récit allégorique d'un homme (George O'Brien) qui se bat contre le bien et le mal qui l'habite. Ces deux antipodes sont personnifiés par sa femme (Janet Gaynor) et son amante (Margaret Livingston). La photographie de ce film est tout droit sortie de l'expressionnisme allemand, auquel Murnau a contribué au début de sa carrière.
On ne s'étonne pas vraiment de la présence de Chang: A Drama of the Wilderness dans cette catégorie. Ce documentaire, le premier en nomination aux Oscars, en plus d'être nommé dans une catégorie qui n'est pas exclusivement réservée aux films documentaires, met en scène un village de la jungle du nord de Siam (aujourd'hui la Thaïlande) qui est aux prises avec de multiples attaques d'éléphants. Ce n'est définitivement pas un film pour les cœurs sensibles puisqu'on y voit de la violence animale, mais il présente assurément des qualités techniques et esthétiques incontestables, dont un plan où les éléphants foncent tout droit vers la caméra! The Crowd est lui aussi devenu l'un des classiques du cinéma muet. King Vidor sera en nomination comme meilleur réalisateur pour ce film, mais s'avouera déçu de ne pas avoir été en compétition dans l'autre catégorie "Meilleur film".
Best Directing - Comedy Picture (Meilleure réalisation - comédie)
Lewis Milestone - Two Arabian Knights
Ted Wilde - Speedy
Cette catégorie sera dès l'année suivante fusionnée avec celle de la meilleure réalisation - drame, pour constituer une catégorie universelle saluant la meilleure réalisation. Lewis Milestone est donc le premier et le seul récipiendaire de cette catégorie dans l'histoire du cinéma. Il l'a obtenue pour sa comédie Two Arabian Knights, qui raconte l'histoire de deux évadés d'une prison de guerre allemande qui croisent le chemin de la fille d'un roi arabe alors qu'ils tentent de s'échapper. Il remportera cependant l'année suivante son 2e Oscar de réalisation pour All Quiet on the Western Front, en plus d'une troisième et dernière nomination pour The Front Page en 1931.
Ted Wilde est le seul autre nominé de la catégorie pour le film Speedy qui met en vedette la légende de la comédie burlesque muette Harold Lloyd, qui interprète Harold "Speedy" Swift, un grand amateur de baseball, qui tente de sauver le dernier tramway tiré par des chevaux de la ville de New-York, opéré par le grand-père de sa copine. Le film fait aujourd'hui partie de la Collection Criterion (#788).
Best Directing - Dramatic Picture (Meilleure réalisation - drame)
Frank Borzage remporte en 1929 le premier de deux Oscars (en deux nominations) pour la meilleure réalisation. Il est en compétition contre King Vidor, célèbre réalisateur de l'âge d'or d'Hollywood (il sera nommé à 5 reprises dans sa carrière et on lui remettra un Oscar honorifique pour l'ensemble de son oeuvre en 1979). The Crowd, qui raconte les problèmes quotidiens d'une famille de la classe ouvrière à l'ère du Jazz, est entré dans les annales de l'histoire du cinéma comme étant l'un des meilleurs films muets. L’intrus de cette cohorte est donc assurément Herbert Brenon, ce réalisateur irlandais surtout connu pour le film Beau Geste. Sorrell and Son raconte l'histoire l'histoire d'un vétéran de la guerre qui doit élever son enfant seul après que la mère a quitté la famille.
Best Actor (Meilleur acteur)
Emil Jannings - The Last Command & The Way of All Flesh
Richard Barthelmess - The Noose & The Patent Leather Kid
C'est à l'acteur allemand Emil Jannings que reviennent les honneurs du premier prix d'interprétation masculine de l'histoire des Oscars, pour ses rôles du Grand Duc Sergius Alexander dans The Last Command de Josef von Sternberg, qui raconte l'histoire d'un général qui devient figurant à Hollywood dans un film réalisé par un ancien prisonnier qu'il a maltraité, ainsi que d'August Schiller dans The Way of All Flesh de Victor Fleming. Ce dernier traite d'un banquier qui, après un braquage, part en déroute et est présumé mort par sa famille. Ce sont, de loin, les deux films les plus connus de sa filmographie, et il s'agit de son seul Oscar en carrière, en autant de nominations. The Last Command fait d'ailleurs partie de la Collection Criterion (#530)
Richard Barthelmess se voit aussi en lice pour deux films dans lesquels il tient le premier rôle. Si c'est sa seule nomination en carrière, il jouera toutefois dix ans plus tard dans le célèbre Only Angels Have Wings d'Howard Hawks.
Best Actress (Meilleure actrice)
Louise Dresser - A Ship Comes In
Gloria Swanson - Sadie Thompson
Janet Gaynor - 7th Heaven, Street Angel & Sunrise
La jeune Janet Gaynor (22 ans) est la seule femme à remporter un Oscar lors de cette première cérémonie. Elle est récompensée pour ses rôles dans trois films. Alors que 7th Heaven et Sunrise reçoivent respectivement 5 et 4 nominations, Street Angel, également réalisé par Frank Borzage, raconte l'histoire d'une femme en fuite qui voit son passé la rattraper alors qu'elle est sur le point d'atteindre enfin le bonheur dans sa nouvelle vie. C'est son seul Oscar, mais elle sera nommée à nouveau près de dix ans plus tard dans le célèbre A Star Is Born de William A. Wellman et Jack Conway. Elle sera également la plus jeune récipiendaire de la statuette jusqu'à la victoire de Marlee Matlin (21 ans) pour Children of a Lesser God en 1986.
Alors que Louise Dresser est relativement peu connue aujourd'hui, son rôle de l'immigrante polonaise Mamma Pleznick dans A Ship Comes In a été salué lors de la cérémonie. La troisième sélectionnée est la plus connue Gloria Swanson, qui décroche ici la première de trois nominations, toutes infructueuses. Elle interprète ici la prostituée Sadie Thompson, dans un rôle de femme forte qui n'est pas sans rappeler les performances à venir de Katharine Hepburn.
Best Writing - Original Story (Meilleur scénario original)
Ben Hecht - Underworld
Lajos Bíró - The Last Command
Deux seules nominations dans cette catégorie récompensant la meilleure histoire originale. La catégorie, dès l'année suivante, sera fusionnée avec la suivante - meilleur scénario adapté - mais ces deux catégories se diviseront et se fusionneront à plusieurs reprises au cours de l'histoire. Fait particulier : les deux films en nomination sont réalisés par Josef von Sternberg! C'est le légendaire scénariste Ben Hecht qui remporte le premier l'Oscar dans cette catégorie, pour le méconnu Underworld, cette histoire de crime de l'avocat d'un gangster notoire qui tombe en amour avec la femme de ce dernier. Le film fait partie de la Collection Criterion (#530). Hecht remportera un second Oscar en 1936 pour The Scoundrel, et sera nommé quatre fois supplémentaires, notamment pour Notorious d'Alfred Hitchcock.
Lajos Bíró est plus méconnu, mais c'est à lui qu'on doit The Thief of Bagdad et The Way of All Flesh. Il s'agit de sa seule nomination en carrière.
Best Writing - Adaptation (Meilleur scénario adapté)
Cette catégorie récompense les scénarios qui s'inspirent de matériel précédemment publié, que ce soit des romans, des feuilletons, des pièces de théâtre ou même des bandes dessinées. Benjamin Glazer est le premier à remporter l'Oscar dans cette catégorie. Il est assez étonnant que le scénariste irlandais ne soit pas plus connu que cela (comme le démontre la piètre image dénichée dans les bas-fonds d'internet). En plus de celui-ci, il a en effet remporté un second Oscar en 1941 pour Arise, My Love de Mitchell Leisen.
Si Anthony Coldeway a été un prolifique scénariste, signant tout au long de sa carrière plus de 150 films et séries télés, il est lui aussi assez méconnu aujourd'hui. On lui doit l'adaptiation de Glorious Betsy, qui raconte la vie amoureuse de Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon, et de sa femme, l'Américaine Elizabeth Patterson.
The Jazz Singer décroche ici sa seule véritable nomination grâce à Alfred Cohn, mais obtiendra un Special Award (voir pourquoi plus bas). C'est qu'en effet le film est généralement reconnu comme étant le premier film parlant de l'histoire du cinéma. Il s'agit de la seule nomination de la carrière de Cohn.
Best Art Direction (Meilleure direction artistique)
Harry Oliver - 7th Heaven
Rochus Gliese - Sunrise
William Cameron Menzies - The Dove & Tempest
Le directeur artistique est celui qui, sous la direction du chef décorateur (production designer), supervise l'aspect visuel d'un film, à l'exception de la caméra. Il doit donc coordonner les décors, de leur création à leur emplacement dans l'espace. Qui de mieux que William Cameron Menzies pour remporter ce premier Oscar, lui qui est à l'origine du terme "production designer" que le producteur David O. Selznick lui a donné alors qu'il se donnait corps et âme dans Gone with the Wind. Si cette catégorie existe encore aujourd'hui, elle a depuis 2012 été rebaptisée "Meilleurs décors", mais souligne toujours conjointement le chef décorateur et le directeur artistique.
Menzies remporte ici son premier de deux Oscars, le second étant un prix spécial pour son travail exceptionnel sur Gone with the Wind. Il a toutefois été nommé à deux autres reprises au cours de sa carrière. The Dove est un drame de Roland West somme toute assez banal, mais Tempest raconte l'histoire d'amour entre un officier paysan de la Russie tsariste et une princesse. John Barrymore (ce grand acteur des débuts d'Hollywood, père de Lionel Barrymore et grand-père de Drew Barrymore) y joue le premier rôle.
Les deux autres artisans en lice ne sont pas très connus, malheureusement. Oliver sera toutefois nommé l'année suivante pour Street Angel, film qui est également en compétition lors de la première cérémonie. Il s'agit du seul film américain à décrocher des nominations lors de deux cérémonies différentes (quelques films internationaux y sont parvenus, également). C'est qu'en fait l'Académie a décidé d'amalgamer la performance de Janet Gaynor pour ce film avec Sunrise et 7th Heaven, alors que Street Angel n'était en théorie pas éligible lors de la première cérémonie. Une gaffe qui est évidemment passée à l'histoire...
Best Cinematography (Meilleure photographie)
Charles Rosher & Karl Struss - Sunrise
George Barnes - The Devil Dancer, The Magic Flame & Sadie Thompson
La direction photo - ou photographie - concerne tous les aspects visuels du film qui incluent la lumière et la caméra. C'est le rendu visuel, à l'exception des décors, accessoires et costumes. C'est sans grande surprise Charles Rosher et Karl Struss qui ont remporté l'Oscar pour Sunrise, un film sublime visuellement. George Barnes a toutefois été sélectionné pour trois films, dont le drame romantique The Devil Dancer de Fred Niblo (film perdu aujourd'hui) et The Magic Flame d'Henry King, qui traite d'un triangle amoureux entre deux personnes d'un cirque ambulant et d'un aristocrate. Ce dernier est également considéré perdu, même si des rumeurs veulent que certaines bobines soient présentes à la George Eastman House, un musée dédié à la photographie et l'un des plus vieux centres d'archives cinématographiques.
Best Engineering Effects (Meilleurs effets d'ingénierie)
On le mentionnait plus haut, Wings est un chef-d'oeuvre technique. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait remporté les meilleurs effets d'ingénierie, cette étrange catégorie qui disparaîtra l'année suivante, mais qui sera réinstaurée en 1938 sous le nom "Meilleurs effets spéciaux". Roy Pomeroy est donc le seul et unique récipiendaire de cette catégorie, et il ne sera pas nommé à nouveau dans sa carrière.
La catégorie comprend également deux artisans qui sont en lice sans association avec un film en particulier. Si Ralph Hammeras sera nommé à nouveau dans la nouvelle catégorie en 1949 pour Deep Waters (il sera également sélectionné pour la meilleure direction artistique du film Just Imagine), Nugent Slaughter n'aura participé qu'à un seul film dans sa carrière : The Jazz Singer. On peut donc en déduire qu'il est l'un des artisans du cinéma parlant, même s'il est tristement oublié de nos jours.
Best Writing - Title Writing (Meilleurs intertitres)
Joseph Farnham
Gerald Duffy - The Private Life of Helen of Troy
George Marion, Jr.
Autre catégorie qui disparaîtra dès l'année suivante, la catégorie "meilleurs intertitres" récompense le visuel des textes des films muets de l'époque. On comprend que le cinéma parlant sonne à la porte, et donc que cette catégorie devient rapidement désuète. Des trois nommés, seul Gerald Duffy l'est pour un film en particulier, réalisé par Alexander Korda et basé sur le roman de John Erskine. Étant décédé avant la cérémonie, il est donc la première personne à être sélectionné de façon posthume. Seules 30 minutes du films ont survécu au passage du temps. C'est un peu comme si l'Académie, sentant la transition éminente du cinéma muet au cinéma parlant, avait créé cette catégorie pour récompenser ces artisans qui, depuis les débuts du cinéma, ont trimé dur pour rendre le cinéma accessible. Joseph Farnham, seul récipiendaire de cette catégorie, est décédé en 1931, en ayant à son actif plus de 90 films où il signe les intertitres. Il en va de même pour Marion Jr qui, s'il s'est recyclé en scénariste, compte à son actif près de 100 films muets.
Special Awards (Prix spéciaux)
Charlie Chaplin - The Circus
Warner Bros. - The Jazz Singer
Aujourd'hui appelée Oscars honorifiques, cette catégorie est appelée jusqu'en 1950 "Special Awards". Charlie Chaplin est le premier récipiendaire controversé de ce prix, qui salue son travail comme réalisateur, scénariste, acteur et producteur de The Circus, l'un de ses meilleurs en carrière. Controversé, puisqu'à l'annonce des nominations, il se trouvait dans chacune des catégories mentionnées précédemment, en plus de celle du meilleur film. Ses nominations ont cependant été retirées (ou plutôt annulées) pour lui octroyer de facto un Oscar. Il est difficile de ne pas voir une certaine tentative de remettre des prix à plusieurs artisans du milieu plutôt qu'à une seule personne. C'est donc une façon de donner une chance aux autres films, mais on comprend évidemment que cela le privera d'une possible récolte de cinq Oscars. Rappelons d'ailleurs que ce sera la seule statuette qu'il recevra, jusqu'à un second Oscar honorifique en 1971 pour l'ensemble de sa carrière. Certains affirment également qu'on lui aurait retiré ces nominations puisqu'il n'était pas très apprécié de la clique hollywoodienne de l'époque, mais le tout relève évidemment de la spéculation. The Circus fait partie de la Collection Criterion (#996).
Lorsqu'on sait que The Jazz Singer est le premier film parlant de l'histoire, il n'est pas étonnant qu'il lui soit attribué ce prix spécial de la part de l'AMPAS. Les prouesses de la Warner ont révolutionné le cinéma à jamais et, dès les années suivant sa sortie, pratiquement aucuns films muets ne seront mis en chantier par les studios hollywoodiens. Le film n'a pas pu compétitionner pour l'Oscar du meilleur film, puisque l'Académie a considéré que ce serait une compétition injuste envers tous les autres films muets. C'est toutefois un exploit considérable que l'industrie a tenu bon d'illustrer en lui octroyant ce prix spécial.
Les incontournables
S'il est facile d'être cynique envers la cérémonie des Oscars, il ne faut pas, à notre humble avis, considérer le récipiendaire du meilleur film comme étant le meilleur film de l'année. Nous croyons plutôt qu'il faut voir les Oscars comme une occasion de trouver facilement certains des films qui ont le plus marqué l'histoire du cinéma. Certains des plus grands films de l'histoire n'y obtiendront aucune nomination (on peut penser à The Good, The Bad and the Ugly, M ou In the Mood for Love), alors que certains films qui remportent les grands honneurs s'avèrent assez banals (Crash, Green Book ou Shakespeare in Love, pour ne mentionner que ces récents exemples). La plupart des films en lice ne marqueront pas les esprits, c'est évident. Par contre, il y a à chaque année certains films qui se démarquent et qui, avec du recul, s'apprécient beaucoup mieux aujourd'hui qu'à leur sortie. Ce sont pour ces perles du cinéma qu'il faut, nous croyons, garder un œil, même cynique, sur la cérémonie des Oscars. C'est un peu comme une gigantesque liste de films à voir, en fin de compte.
Mais tous les films ne sont pas nécessairement à voir. C'est pourquoi nous vous suggérons quelques-uns des films marquants de cette première édition des Oscars, question que vous ne perdiez pas inutilement de précieuses heures à visionner des films somme toute moyens. Voici donc, selon nous, les incontournables des films de cette édition :
Les grands absents
À chaque édition des Oscars, on parle presque autant des nommés que de ceux qui sont oubliés, snobés de la compétition. La première édition n'y fait pas exception. Mary Pickford, l'une des fondatrices de l'AMPAS, aurait très bien pu décrocher une nomination comme meilleure actrice pour son rôle dans My Best Girl. Il faut toutefois comprendre que pour être sélectionné, il faut que le studio, ou du moins les artisans du film, soumettent celui-ci à l'Académie pour qu'elle puisse l'évaluer. Pickford n'a jamais eu de véritable intérêt à remporter un Oscar, et son film n'a finalement pas été soumis à l'Académie.
Le célèbre réalisateur et acteur Buster Keaton, géant du cinéma muet, n'a lui non plus pas été salué pour son travail dans le grand film The General, probablement son plus connu, mais surtout devenu l'un des meilleurs films du cinéma muet depuis.
D'autres déceptions proviennent du peu de représentation de chacun des films dans les diverses catégories. Certes, 7th Heaven et Sunrise ont été nommés pour 5 et 4 Oscars respectivement, mais on souligne l'omission de William A. Wellman à la réalisation, qui est responsable des scènes aériennes les plus spectaculaires de l'époque. Il en va de même pour Charles Farrell, dont le travail pour 7th Heaven aurait aisément pu se mériter une nomination (rappelons qu'il n'y a eu que deux nommés dans cette catégorie après le retrait de Charlie Chaplin). Al Johnson, pour The Jazz Singer, aurait également pu recevoir une nomination comme meilleur acteur. C'est probablement en raison de ces insatisfactions que l'Académie, dès l'année suivante, augmentera le nombre de nommés par catégorie. Il y aura toujours des laissés-pour-contre, mais cela permettra une plus grande représentation des artisans du cinéma.
Références
Tim Dirks, "1927–28 Academy Awards Winners and History", Filmsite, Rainbow Media, 24 juillet 2010.
https://www.history.com/this-day-in-history/first-academy-awards-ceremony, History, A&E Television Networks, 27 juillet 2019.
The Academy Awards, https://www.oscars.org/oscars/ceremonies/1929.
Zoë Ettinger, "Photos of the first Academy Awards, held in 1929, show just how much the biggest night in Hollywood has changed", Insider, 6 février 2020.