Le notti di Cabiria (Nights of Cabiria)
Jusqu’à présent dans la Collection Criterion, nous n’avions pas eu droit à un typique film d’acteur, dans lequel l’interprète brille à chacune des scènes. Il nous aura fallu attendre jusqu’à Nights of Cabiria et à l’incroyable performance de Giulietta Masina, mais l’attente en aura valu la peine. Rarement avons-nous eu droit à une performance aussi sublime que la sienne, dans un film qui, heureusement, peut compter sur d’autres éléments pour plaire à l’auditoire. Ce film de Fellini, l’un des plus importants de sa carrière, est celui avec lequel il effectue sa transition du néoréalisme au cinéma de fantaisie, pour ainsi se positionner comme un réalisateur versatile et au style très particulier.
Le personnage de Cabiria (Masina) est au centre du récit. C’est le genre de film qui requiert qu’elle soit présente dans chaque scène ou presque, et donc il est primordial que le personnage soit des plus intéressants. Très simplement, Nights of Cabiria se résume à une série de segments des nuits de Cabiria, une prostituée, à Rome. Sans être totalement un film à sketchs, il présente des tranches de sa vie, dont plusieurs n’ont pas vraiment de lien avec la trame principale du récit. Il s’ouvre avec elle et Giorgio (Franco Fabrizi) sur le bord d’une rivière. Ils semblent passer un bon moment, jusqu’à ce que ce dernier pousse Cabiria dans l’eau et lui vole son sac à main. Évitant de près la noyade, elle retourne chez elle, dans une maison de fortune sur le chemin entre Rome et Ostia. Alors triste et frustrée de s’être fait jouer comme cela, elle retrouve ses moyens et décide de ne pas s’en faire. La vie doit continuer!
La résilience est vraiment ce qui est au centre du récit et de la vie de Cabiria. Tout au long du film, elle subira des situations embarrassantes qui ne se déroulent pas comme elle le voudrait, mais à chaque fois elle sait puiser en elle l’énergie pour continuer à se battre contre la vie. Il serait difficile de dévoiler trop d’éléments sans gâcher l’expérience de visionnement, ainsi nous n’aborderons qu’un segment à titre d’exemple. À un moment, elle fait la rencontre du célèbre acteur Alberto Lazzari (interprété pas l’aussi célèbre Amedeo Nazzari), qui, venant de se disputer avec sa femme, rentre chez lui avec Cabiria. Cette dernière, profitant entièrement du moment, est en proie à l’hystérie, ne croyant pas la chance qu’elle a de se retrouver avec lui. Toutefois, la femme de Lazzari revient subitement chez lui, et Cabiria doit se cacher dans sa garde-robe pour ne pas que sa femme la voit. Elle doit ainsi y passer toute la nuit, pendant que Lazzari et sa femme se réconcilient, devoir conjugal inclus.
C’est le genre de situations qui attendent Cabiria, qui doit par la suite quitter en douce la luxueuse demeure de Lazzari pour retourner dans le monde crade de la rue. Occasion ratée, peut-être, mais il en faudra plus à Cabiria pour se démonter! Il nous faut une fois de plus souligner la performance de Masina, qui reprend un rôle pour la première fois apparu dans The White Sheik, aussi de Fellini, son mari. Ce dernier mentionne avoir bâti le personnage autour d’une vraie prostituée qu’il a rencontrée pendant le tournage de Il Bidone. C’est d’ailleurs Pier Paolo Pasolini (Salò) qui sera chargé de rendre crédible les dialogues, lui qui apparemment connaissait bien le milieu interlope romain. Masina, bref, joue à perfection cette prostituée énergique et au cœur d’or. C’est l’une des rares actrices qui est capable d’exprimer de la tristesse et de la joie simultanément, comme en témoigne l’image ici-bas. Outre cela, ce sont ses expressions faciales variées qui vous charmeront. Toutes les émotions y passent au cours du récit : de la joie à la tristesse, de la puissance à l’impuissance, de l’amour à la haine, de la peur à l’émerveillement, bref sa gamme est très impressionnante.
Il serait difficile d’entrer plus dans les détails sans influencer l’opinion que vous vous ferez de Cabiria. Parlons plutôt du travail accompli par Fellini, qui crée ici une sorte de dramédie néoréaliste. Ce courant cinématographique, majeur en Italie, est caractérisé par des récits se déroulant au sein de la classe pauvre ou ouvrière suivant la Seconde Guerre mondiale. C’est un peu l’équivalent italien de la Nouvelle Vague, surtout en ce qui a trait au tournage à l’extérieur des studios et utilisant bien souvent une distribution non-professionnelle. Alors que Fellini s’inscrit dans la fin de ce courant, il a débuté sa carrière en travaillant avec les plus grands cinéastes néoréalistes italiens, dont Roberto Rossellini, mais voudra rapidement se détourner du courant pour forger son propre style caractéristique, et ainsi tirer pleinement profit des libertés que permet le cinéma. Mon seul référent du cinéma de Fellini se trouve dans Amarcord, un film qu’on dirait fait par un autre réalisateur tellement ils sont différents l’un de l’autre. Toutefois, on capte par moments un segment, une situation, un dialogue même, qui laisse présager cette transition de Fellini vers la fantaisie, le clownesque. Nous sommes ici dans un style complètement différent, mais tout aussi bon et accompli.
Au final, Nights of Cabiria, c’est le portrait d’une femme plus forte que nature. Une femme sur qui le destin semble s’acharner, mais qui est déterminée à mener sa vie comme elle l’entend. Cette étude de personnage nous apprendra à garder la tête haute même dans les situations les plus difficiles. Porteuse d’espoir, Cabiria nous rappelle la triste réalité des prostituées, mais également de toutes les femmes, à certains égards. Un brillant film fait par l’un des couples les plus célèbres de l’histoire du cinéma.
Fait partie de la Collection Criterion (#49).
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.