The Circus
Avec Buster Keaton et Harold Lloyd, Charlie Chaplin fait partie des trois plus célèbres interprètes comiques du cinéma muet. Leurs films ont été acclamés à de nombreuses reprises par la critique et le public, et sont aujourd’hui conservés avec le plus grand soin par des organismes comme Criterion ou le National Film Registry. Des trois, j’avoue avoir un faible pour Chaplin et son personnage du Little Tramp (ou Charlot en français) qu’il incarnera dans plus d’une dizaine de films et courts métrages. Parmi tous les classiques du cinéma qui lui sont attribuables, The Circus est assurément l’un de ses plus sous-estimés. Pourtant, bien qu’il soit peut-être plus léger, plus simple que Modern Times ou City Lights, je trouve ce film tout simplement fantastique, ne serait-ce que parce qu’il survient à un moment charnière de l’histoire du cinéma.
Comme le titre l’indique, la grande majorité de l’action du film se situe dans un cirque, ambulant de surcroît. On y suit Merna (Merna Kennedy), et son beau-père (Al Ernest Garcia), le propriétaire tyrannique du cirque. Merna ne semble pas se plaire dans la troupe, notamment parce que son beau-père l’empêche de vivre sa vie comme elle le voudrait, ainsi que de manger, par peur qu’elle prenne du poids. Le cirque se trouve dans une situation financière précaire, et un besoin de renouveau se fait sentir. C’est alors que Little Tramp, après un malentendu dans une fête foraine où il se fait accuser à tort d’avoir volé un portefeuille, se retrouve malgré lui au cœur du spectacle présenté par le cirque. Faisant rire l’auditoire plus que jamais, le propriétaire décide de lui donner la chance de joindre la troupe. Little Tramp qui, comme son nom l’indique, vit dans la rue, voit une opportunité de gagner un peu d’argent, et accepte l’opportunité. Malgré des auditions désastreuses, il parvient tout de même à joindre l’équipe, et il se formera peu à peu une amourette entre lui et Merna.
Nous sommes en présence d’un scénario assez simpliste et typique des premiers films de Chaplin. Alors que plus tard dans sa carrière il voudra se faire davantage revendicateur (dans Modern Times et The Great Dictator, notamment), son objectif ici n’est que de faire rire son public. Et il y parvient habilement, que ce soit par ses cascades folles (marcher sur un fil de fer à plusieurs mètres du sol, entrer dans la cage d’un lion, etc.), son humour burlesque ou son incroyable sens du rythme. Sans nécessairement rire aux éclats, on a un sourire collé au visage tout au long des 72 minutes du film. Bien connu pour son perfectionnisme, Chaplin a un souci du détail qui rend chaque situation comique plus vraie que nature. Une scène où Little Tramp se fait passer pour un pantin mécanique illustre bien ce propos. Si on ne savait pas que c’était lui, on pourrait aisément, comme les policiers dans le film, être berné par son subterfuge. Cet exemple parmi tant d’autres témoigne d’un instinct naturel pour la comédie, instinct qui marquera évidemment la carrière de Chaplin.
Ceux et celles qui connaissent l’histoire du cinéma savent que 1928 est une année de grands changements. Avec The Jazz Singer, le cinéma parlant était né. Si cet événement sonna la fin pour Lloyd et Keaton, on peut en dire autant de Chaplin, qui s’accrochera tout de même au cinéma muet jusqu’au milieu des années 1930. Toutefois, il parviendra à faire quelques films qui sont depuis entrés dans les annales du cinéma (The Great Dictator, Monsieur Verdoux, Limelight), démontrant la pertinence du britannique à toute époque. Nous sommes également à la veille du krach de 1929, qui rendra encore plus célèbre peut-être son fameux personnage. Mais surtout, nous sommes dans une période trouble dans la vie de Chaplin. En fait, la production de The Circus a été parsemée d’ennuis autant techniques (perte de bobines de films utilisables lors de la scène du funambule, incendie aux studios, vol d’un wagon du cirque) que personnels (divorce d’avec Lita Grey, poursuite pour fraude par l’IRS, mort de sa mère, tant d’événements qui conduiront à une dépression nerveuse chez Chaplin). Après ce film, Chaplin ne réalisera plus de films à un rythme aussi soutenu que dans les deux décennies précédentes.
The Circus est vraiment un film efficace. Il y a peu à se mettre sous la dent au niveau scénaristique, mais il accomplit avec brio ses objectifs. Chaplin est évidemment excellent, tant comme réalisateur que comme acteur. Il nous démontre qu’en dehors de ses talents comiques il peut être capable de tendresse, qui ne semble pas fausse, contrairement à d’autres films muets où les acteurs et actrices ont tendance à surjouer. On se peut que se désoler que son film n’ait remporté qu’un Prix honorifique lors de la première cérémonie des Oscars, lui qui a été « disqualifié » des catégories « Meilleur film », « Meilleur acteur », « Meilleur scénario original » et « Meilleur réalisateur, comédie » car on trouvait injuste qu’une personne puisse être nommé dans plus d’une catégorie pour un même film. Chaplin n’a jamais vraiment été apprécié à Hollywood à ses débuts, ce qui pourrait expliquer cette triste disqualification. Quoi qu’il en soit, ce film est définitivement l’un des meilleurs de 1928, et mérite sa place aux côtés des autres chef-d’oeuvre de son illustre carrière. Qu’on aime ou déteste les comédies burlesques du cinéma muet, personne ne peut demeurer indifférent face à un Chaplin.
Fait partie de la Collection Criterion (#996).
Fait partie du top 250 d’Alexandre (#51).
Fait partie du top 100 de Jade (#66).