Jumbo
J’ai vu Jumbo pour la première fois lors de mon plus récent passage au festival Sundance, plus tôt cette année. J’avoue que le film m’avait laissé perplexe. Ce n’est définitivement pas le typique film romantique qu’on regarde à la Saint-Valentin. Plutôt, c’est l’histoire d’amour improbable, ou fantaisiste plutôt, entre une jeune femme et un manège. J’avais été impressionné par beaucoup d’éléments durant ce premier visionnement, mais, quelques mois plus tard (et en-dehors de la bulle du festival), j’avoue l’avoir davantage apprécié, ne serait-ce que parce que le premier « choc » était passé. Au deuxième visionnement, il s’avère que le récit est beaucoup plus conventionnel que je ne l’avais imaginé, mais, surtout, c’est une fable sur l’amour contre vents et marées.
L’histoire suit la vie de Jeanne (l’excellente Noémie Merlant, qui s’est fait connaître quelques mois avant pour Portrait de la jeune fille en feu), une jeune femme timide, qui travaille dans un parc d’attraction d’une petite ville française. Elle vit avec sa mère Margarette (Emmanuelle Bercot), qui est assez dégourdie. Alors que la nouvelle saison s’amorce, Jeanne rencontre Jumbo, la nouvelle attraction du parc. Fascinée par les manèges (Jeanne en construit d’ailleurs plusieurs modèles réduits artisanaux qu’elle conserve dans sa chambre), elle sera fascinée par ce nouveau prototype, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que cette fascination est mutuelle. Elle apprend ainsi à communiquer avec la machine, et les deux tombent follement amoureux l’un de l’autre.
Récit atypique, vous direz? Oui, et non. Oui, d’abord, car on constate que le film se situe plus dans le domaine de la fantaisie que dans celui du réalisme. Toutefois, seule Jeanne semble outrepasser les lois de la physique pour vivre cet amour qui transcende les dimensions (une scène toute particulière qui présente le premier orgasme de la jeune fille semble tout droit sortie d’un segment de Under the Skin). Son entourage, à commencer par sa mère, ne comprend tout simplement pas cet amour improbable. Marc (Bastien Bouillon), le patron du parc, qui tente également de courtiser Jeanne, trouve tout simplement cette relation absurde. Pourtant, elle est bien vraie, qu’ils le veuillent ou non.
C’est en poussant la réflexion plus loin qu’on comprend que ce récit en est un assez classique d’amour impossible entre deux amoureux, l’un d’eux étant tout simplement substitué par une machine. En fait, on constate (et on nous l’indique clairement à un certain moment du film) que Jeanne est probablement atteinte d’une maladie mentale quelconque, qui l’a toujours rendue « particulière ». Si pour son entourage c’est ce qui justifie ce soudain amour pour Jumbo, pour Jeanne cette relation n’est aucunement différente de celle qu’elle pourrait avoir avec n’importe quel homme. Elle tente d’ailleurs d’expérimenter une relation plus traditionnelle avec Marc, ce qui la rend inconfortable au plus haut point. Bref, pour Jeanne, qu’on aime un humain ou un objet, il n’y a aucune différence.
Jeanne est interprétée de brillante façon par une Noémie Merlant en pleine possession de ses moyens. Alors que dans Portrait elle jouait une femme forte, décidée, ici elle verse dans la vulnérabilité, en donnant à son personnage un côté femme-enfant, c’est-à-dire ces enfants qui semblent pris dans des corps d’adultes. On ne sait jamais trop quelle âge elle a, mais on devine, au vu des situations, qu’elle est au début de l’âge adulte, mais qu’elle n’a pas connu les interactions typiques des adolescentes de son âge. Merlant joue ici avec passion, et elle crève l’écran dans chacune de ses scènes. Il en va de même pour Bercot, qui interprète une mère monoparentale sexuée qui aime sa fille mais qui ne la comprend pas totalement. Les deux ont des scènes formidables ensemble, et jouent avec justesse et dévouement à chaque instant.
L’ambiance générale du film est également assez convaincante. La lumière y est pour beaucoup, et à cet égard chaque aspect du manège est soigné. On sent définitivement une influence des années 1980 dans la signature visuelle de Jumbo, bien que le film semble se dérouler de nos jours. La trame sonore, en définitive, vient englober cette ambiance de feel-good movie à perfection, bien que je ne sache toujours pas si le film en soit un ou non.
J’ai bien aimé Jumbo, et même un peu plus au deuxième visionnement. Toutefois, je tiens à préciser que ce n’est pas un film qui fera l’unanimité. Moi-même, la première fois, je n’étais pas totalement certain de savoir si je l’avais apprécié ou non. J’imagine que c’est un de ces films qui s’observe différemment selon notre humeur du moment. Si vous savez dans quel type de films vous vous embarquez avant d’aller le voir, je suis persuadé que vous passerez un bon moment au cinéma. Toutefois, si la pochette vous intrigue et que vous allez aveuglement voir Jumbo, il pourra soit vous surprendre, soit vous décevoir. Il y a définitivement des inspirations provenant du cinéma de genre, mais lorsqu’on oublie ces éléments absurdes ou fantaisiste, on se retrouve devant un récit touchant entre une femme et son « obscur objet du désir ». Cette relation a beau être atypique, c’est assurément la plus belle et la plus inspirante des relations, humaines ou non, qui soient représentées dans le film.
Les images sont une courtoisie d’AZ Films.