Kûki ningyô (Air Doll)
La vie de célibataire dans une mégapole comme Tokyo peut s’avérer assez difficile. Au milieu de l’effervescence de la capitale japonaise, on peut aisément se perdre si on ne possède pas de tissu social ou de cellule familiale établie. C’est un peu cette thématique qu’aborde Hirokazu Kore-eda dans Air Doll, cette fable sur la solitude basée sur le manga Kuuki Ningyo de Yoshiie Gōda. Ce film fantaisiste pousse toutefois un peu plus loin la réflexion en se questionnant sur ce qui caractérise le fait d’être un humain. C’est un récit plaçant en son centre une certaine crise identitaire qui frappe de plus en plus nos sociétés occidentales urbanisées.
On suit Hideo (Itsuji Itao), un quarantenaire de la classe moyenne, vivant seul, si ce n’est de sa poupée sexuelle gonflable qu’il appelle Nozomi (Doona Bae). Avec elle, il établit une relation « ordinaire » où il l’habille, lui parle et lui fait l’amour, comme s’il s’agissait d’une vraie personne. Sans qu’on nous explique pourquoi, un jour, Nozomi prend vie. Avec un désir criant d’explorer le monde, elle quitte l’appartement d’Hideo, et se met à déambuler dans les rues de Tokyo, s’émerveillant devant chaque détail de la vie en société.
Ceux qui auront lu ce résumé et auront associé Air Doll à Lars and the Real Girl pourraient être tentés de trouver quelques similitudes entre les deux. Toutefois, là où Lars s’intéresse à la psyché d’un personnage qui tombe amoureux d’une poupée inanimée, nous sommes plutôt ici dans une situation contraire, où la poupée et sa découverte de la vie occupent la trame principale du récit. Ce processus sera grandement attribuable à l’emploi dans un club vidéo qu’elle décrochera, ainsi qu’au propriétaire (Ryô Iwamatsu) et son collègue de travail Junichi (Arata Iura), développant avec ce dernier une amourette particulière, à l’insu d’Hideo, chez qui elle retourne chaque soir pour reprendre sa place de poupée sexuelle.
Vous aurez compris qu’on est plus ici dans la fable que le récit réaliste. Certes, on présentera comment Nozomi est venue à la vie, mais cet élément est plus superficiel qu’autre chose. Kore-eda s’intéresse plutôt au mal de vivre qui habite une certaine partie de la population cosmopolite au 21e siècle (il fera de même avec Shoplifters quelques années plus tard, film qui lui vaudra la Palme d’Or à Cannes). En ce sens, on s’attache très rapidement au personnage de Nozomi, qui découvre les bons et les mauvais côtés à la vie.
Une grande partie du crédit revient à Bae, qui brille comme toujours dans un film qui lui en demande beaucoup physiquement et émotionnellement. Elle parvient à rendre crédible la naïveté de son personnage, et se maintient toujours sur la mince ligne qui sépare la poupée de l’humain. C’est probablement ce rôle (où celui dans The Host de Bong Joon Ho) qui attira l’attention des Wachowski, elles qui travailleront ensemble dans trois projets hollywoodiens par la suite. Bae démontre l’étendue de ses talents et nous prouve qu’elle est l’une des meilleures actrices coréennes du moment.
Pour autant que le film soit sympathique, il n’est pas exempt de défauts, à commencer par sa longueur. On prend peut-être trop de temps à illustrer l’émerveillement de Nozomi face aux choses banales de la vie, ce qui fait parfois verser le film dans la contemplation. Il y a également plusieurs trames secondaires qui sont superflues, bien qu’elles témoignent toutes du mal-être des habitants de la mégapole. Ce sont toutes des réflexions différentes sur la solitude, mais elles ne sont pas intéressantes au même niveau, et sont parfois même redondantes, sinon confuses. On constate également ce phénomène avec la trame narrative d’Hideo, qui prend trop de temps à évoluer. Cette lenteur n’est pas outrancière, mais il me semble que le film aurait gagné à être plus concis.
Comme tout film qui réanime des objets inanimés (Toy Story vient rapidement en tête) ou des robots plus vrais que nature (I.A.), on en vient à s’éprendre plus de ces « objets » que des humains. Je ne sais pas à quoi attribuer ce phénomène, peut-être à une certaine vulnérabilité qui semble caractériser les objets due au fait qu’ils n’ont jamais pleinement le contrôle de leur destinée, mais ces films provoquent toujours une certaine réflexion quant à notre rapport à eux et notre usage de ceux-ci. Ici, on serait tenté d’y percevoir un certain détachement, une déshumanisation à la fois du fait d’être une femme dans la société japonaise et un objet de convoitise. Il ne faut peut-être pas voir plus loin que l’intention du réalisateur (ou de l’auteur du manga), mais ces réflexions surgiront à un moment où un autre du film.
Air Doll est un film qui possède un esthétisme particulier. C’est un feel-good atypique sur l’existence et la vie en société. Si les cinéphiles seront gâtés par les nombreuses références au cinéma, ils pourront toutefois s’exaspérer devant son manque de rythme et sa répétitivité. Il est toutefois assez prenant, parfois touchant, parfois triste, mais toujours dans la subtilité. Un bon film d’un réalisateur aguerri, mais dont le meilleur reste à venir.