Carnival of Souls
Fortement inspiré de l’un des épisodes de la série télévisée The Twilight Zone, Carnival of Souls suit Mary Henry (Candace Hilligoss) qui, après avoir survécu à un grave accident de voiture, quitte sa ville natale pour devenir organiste dans une église de Salt Lake City. Sur la route, elle est victime de visions qui semblent vouloir l’attirer vers un étrange pavillon au bord du fameux lac. Croyant que son imagination lui joue des tours, elle ne s’en fait pas outre mesure, mais ces visions se poursuivent et s’intensifient après qu’elle emménage chez Mrs. Thomas (Frances Feist), où elle se fait faire la cour très malhabilement par John Linden (Sidney Berger).
Bien vite, le « fantôme » (Herk Harvey, également le réalisateur du film) qu’elle aperçoit se fait de plus en plus présent, et Mary verse peu à peu dans une autre dimension, où les gens ne peuvent plus la voir ni l’entendre. La solution à sa situation se trouve-t-elle au cœur de ce mystérieux pavillon? Mary en est de plus en plus convaincue.
Carnival of Souls n’aurait pas pu exister sans ce fameux pavillon qui en fait sa renommée : le Saltair Resort. Achevé à la fin du 19e siècle, ce complexe jouxtant le Great Salt Lake a connu une histoire haute en rebondissements, tout en faisant la renommée de la région dans la première moitié du 20e siècle. Son architecture atypique en fait un lieu particulièrement mystérieux, mais l’utilisation du noir et blanc lui confère des allures effrayantes ici. Rarement un lieu n’aura aussi bien été utilisé dans un film et seule son existence a pu rendre ce film possible. Un peu à la manière de sa protagoniste, Harvey l’a aperçu au loin un jour qu’il y passait en voiture, et a tout de suite été obsédé par cet endroit particulièrement saisissant.
Malgré son visuel stylisé et angoissant, il ne fait aucun doute que Carnival of Souls est un film de série B. Maigre budget (le réalisateur a obtenu le budget nécessaire en approchant des investisseurs locaux de Lawrence, au Kansas, où il travaillait au sein d’une compagnie spécialisée dans les films éducatifs et industriels), acteurs pour la plupart non-professionnels et post-production inégale en font un long métrage très modeste. Pourtant, il est parvenu à atteindre un statut de film culte, notamment en raison de ses nombreuses diffusions à la télé dans les années qui ont suivi sa sortie. Et avec raison, car malgré ses modestes ambitions, il propose tout de même bien plus que ce qu’offraient les films de genre de l’époque.
Sans trop dévoiler ce que Mary trouvera dans le pavillon, on peut dire que le film, tant dans son visuel que dans la façon dont il se dévoile, est à la croisée d’un projet de George Romero et David Lynch. Il peut parfois sembler banal, mais si on le remet dans son contexte, les films de genre optaient tous pour les mêmes clichés : une bête mystérieuse, issue de la radiation d’une bombe quelconque, vient terroriser les personnages (surtout des adolescents). On est à des lieues de cela ici, alors qu’Harvey et son coscénariste John Clifford explorent davantage la paranoïa qui peut s’installer auprès de personnes ayant vécu des traumatismes. On est en présence d’un film d’horreur psychologique et non graphique, ce qui, je crois, rend le tout un peu plus intemporel. On visionne aujourd’hui les films de monstres des années 1960 avec un sourire en coin, car les effets spéciaux et les maquillages nous paraissent ringards. Ici, ce n’est pas le cas.
Pour un film de série B, la distribution fait franchement le travail, même si on sent tout de même l’inexpérience des acteurs et actrices. Tous insufflent suffisamment de menace dans leur jeu pour qu’on les prenne au sérieux, qu’on ait affaire au voisin insistant (qui vous fera grincer des dents par ses avances douteuses), au prêtre auprès de qui Mary travaille, ou au médecin qui tente de diagnostiquer ses troubles. Certes, le tout n’est pas parfait, mais cette inexpérience parait moins à l’écran lorsque l’intention est que la jeune femme se sente comme si elle était dans un monde où tout ne tourne pas rond. C’est évidemment la performance d’Hilligoss qui sort du lot, ce qui est normal considérant que c’était la seule actrice avec de l’expérience. Ses expressions de terreurs sont crédibles, surtout vers la fin, où la tension monte.
Plusieurs ont comparé Carnival of Souls à L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, et même à The Shining, mais il s’en dégage néanmoins quelque chose de singulier. Peut-être est-ce dû au tournage sur les lieux directement (pratique assez rare aux États-Unis à l’époque, mais popularisée environ à la même époque par la Nouvelle Vague), qui donne assurément, à faible coût, un rendu visuel mémorable, ou sa tentative de représentation d’un monde parallèle, ou encore même l’analyse féministe qu’on peut en tirer – mais qu’il faut prendre avec légèreté toutefois, car c’est un aspect qui n’a, je crois, pas été pensé par les scénaristes. Quoi qu’il en soit, l’aura de mystère qui plane dès les premières minutes du film et qui ne nous quitte qu’à la toute fin (dans une finale qui a des airs de déjà-vu) est bien plus efficace ici que dans plusieurs films à petits budgets de l’époque. Le rythme n’y est pas toujours constant et certaines répétitions s’installent, mais il saura s’imprégner durablement dans votre mémoire.
Fait partie de la Collection Criterion (#63).