Inception
Je me souviens de la première fois que j’ai vu Inception. C’était dans l’une des plus petites salles du seul cinéma de Valleyfield. Mon père et sa conjointe m’ont demandé si je voulais aller voir ce film appelé Origine (probablement l’un des derniers films en français que j’ai vu au cinéma), duquel je n’avais rien vu ou entendu. Nous sommes un lundi soir, il est 21h00. Sans m’y attendre, j’ai été frappé par l’un des grands films des années 2010. Pour moi, il y a un « avant » et un « après » Inception. Avant, je suivais de loin le cinéma, sans me préoccuper de regarder les films à leur sortie (sauf peut-être les Harry Potter), je les visionnais doublés en français, bref, je ne visionnais des films que parce que les gens en parlaient et que je voulais avoir les mêmes référents qu’eux. Après avoir visionné ce chef-d’œuvre signé Christopher Nolan, j’étais bel et bien devenu un cinéphile.
Je connaissais Nolan de la nouvelle adaptation des Batman, mon super-héros favori (et dont la version de Tim Burton avait marqué mon enfance), mais c’était tout. Je n’étais pas au fait de la réputation qu’il a de vouloir créer des effets spéciaux spectaculaires tout en utilisant le moins de CGI (Computer Generated Imagery) possible, ni sa capacité à raconter des histoires déconstruites à la Memento et The Prestige. Surtout, je ne savais pas qu’il prenait un malin plaisir à faire des super-productions originales et assez peu conventionnelles dans un système hollywoodien qui déteste prendre des risques financiers. Tout ça s’est imposé à moi avec Inception, l’un des premiers films qui m’a donné envie de savoir comment sont faits les films, et qui m’a incité à en connaître plus sur le cinéma en général. L’après Inception, c’est pour moi le développement d’un regard critique, une attention particulière aux films oscarisés (ceux qui me connaissent savent que j’entretiens maintenant une passion malsaine pour les Oscars), un éveil de mon goût pour la science-fiction, et une appréciation inconditionnelle pour les films qui prennent des risques, qui sortent du cadre conventionnel des gros studios.
Assez de sentimentalité, revenons au film! En fait, malgré toute l’originalité dont il fait preuve, Inception c’est d’abord et avant tout un film de cambriolage. Il arbore tous les codes du genre, à commencer par l’assemblage de l’équipe. Cobb (Leonardo DiCaprio) et Arthur (Joseph Gordon-Levitt) ont une entreprise clandestine qui opère dans le domaine du rêve. Plus précisément, ils sont engagés par des magnats pour subtiliser de l’information sensible auprès de gens importants, à travers leurs rêves, et, surtout, leur subconscient. Cette technologie, créée par l’armée comme module permettant de s’entraîner à ressentir la douleur sans se blesser réellement, semble désormais chose commune dans ce futur pas si lointain. Le film s’ouvre un peu à la James Bond, avec une scène qui, en apparence, n’a rien à voir avec le reste du film. Cobb et Arthur tentent de soutirer des dossiers secrets de la tête de Saito (Ken Watanabe), mais ils échouent leur mission lorsque celui-ci constate qu’il est dans un rêve et non dans la réalité.
On apprend toutefois que cette mission était un test concocté par Saito pour connaître la valeur de l’équipe. Il veut en effet réaliser l’impossible, et implanter une idée (inception) dans la tête de son rival Robert Fischer (Cillian Murphy) pour l’inciter à démanteler son empire commercial. Cobb semble convaincu que cela est possible, et il forme ainsi une équipe capable d’accomplir cette mission. Il recrute Ariadne (Ellen Page), l’architecte, qui doit créer un univers labyrinthique crédible pour divers niveaux de rêves qu’ils exploreront (question d’aller au plus profond du subconscient de Fischer), Eames (Tom Hardy) qui a pour mandat de « jouer » le rôle de Browning (Tom Berenger), le confident de Fischer, et Yusuf (Dileep Rao) qui doit sédater l’équipe pour s’assurer qu’elle ne se réveille pas durant le coup. Ils sont également accompagnés de Saito, qui veut protéger ses intérêts dans la mission, et qui a promis à Cobb de faire lever les accusations qui pèsent sur lui, ce qui permettrait à ce dernier de pouvoir retourner aux États-Unis et revoir ses enfants.
Voici l’idée générale d’Inception, le premier niveau facilement observable du film. Toutefois, il en demeure très complexe, et seules plusieurs visionnement vous permettront de pleinement saisir toutes les imbrications du scénario. C’est un film qui vous laisse confus dans le bon sens du terme. Il ne nous fait pas nous demander « est-ce que telle chose est réalisable? » ou « est-ce que cet aspect est un angle mort du scénario? ». Au contraire, il est confus au sens où on sent qu’on ne possède pas toutes les pièces du puzzle après le premier visionnement, mais on est convaincu qu’elles se trouvent quelque part, et que nous ne les avons tout simplement pas remarquées. On accepte de facto la proposition du film, en partie parce qu’elle semble tellement convaincante qu’on se laisse porter par elle, mais aussi car on sent qu’on est entre de bonnes mains. C’est en effet un projet cher au réalisateur, qui lui aura pris près de 10 ans à concrétiser. Le travail et la réflexion autour de cette histoire complexe est facilement observable, ce qui fait d’Inception l’un des films « grand public » les plus complexes de l’histoire du cinéma.
Comme dans plusieurs films de Nolan, en plus de ce récit non conventionnel, il s’assure de placer une émotion au centre du récit. Dans The Prestige c’était la dévotion, dans Interstellar c’était l’amour. Ici, c’est la culpabilité et le deuil, illustrés par la présence de Mal (Marion Cotillard), la femme de Cobb, qui s’est suicidée après avoir perdu le contact avec la réalité en raison de sa longue présence dans le monde des rêves. Ce sentiment tourmente Cobb du début à la fin, et a même des implications dans le déroulement de ses missions. Mal revient en effet hanter le subconscient de son mari et devient en quelque sorte l’antagoniste du récit. Qui d’autre que Leonardo DiCaprio pour incarner le personnage tourmenté étonnamment complexe d’un film qui se veut un divertissement avant tout?
Le reste de la distribution est, elle aussi, exemplaire, mais nous ne sommes pas ici devant un film d’acteurs. C’est plutôt un film visuellement marquant, nous offrant plusieurs scènes d’anthologies comme Paris qui se replie sur elle-même, une bagarre dans un corridor en pleine rotation, et j’en passe. Rien n’est trop gros pour Nolan et son équipe, qui n’hésitent pas à créer une collision entre un train et une voiture en plein centre-ville, à élaborer une fusillade dans une forteresse enneigée à flanc de montagne, où à proposer un monde complètement énigmatique – les limbes – sans jamais laisser transparaître le moindre défaut technique. Le tout, combiné à la grandiose trame sonore d’Hans Zimmer, contribue à une ambiance plus grande que nature, digne des meilleurs films de science-fiction.
Nolan aime beaucoup les mises en abyme et le symbolisme. Dans Inception, c’est flagrant plus qu’ailleurs. Personnifiant en quelque sorte le processus qui mène à la création d’un film, chacun des personnages illustre une facette du cinéma. Saito, principal créancier, est le studio, Cobb est le réalisateur, Arthur est le producteur, Eames est l’acteur (et le scénariste), Ariadne est celle qui fait les décors, et Cillian Murphy, c’est nous, l’auditoire. Nolan ajoute également le concept du totem, seul rempart entre la réalité et le rêve, qui nous fait constamment douter de la véracité de ce qui nous est présenté. On nous fera d’ailleurs douter jusqu’aux derniers moments du film.
Que dire de plus d’Inception? Certes, il pourra déconcerter la plupart de son auditoire. Ceux qui n’aiment pas la science-fiction pourront le trouver trop confus, trop complexe. Pourtant, je crois que nous sommes en présence du meilleur film à ce jour de Christopher Nolan, et possiblement de l’un des meilleurs films de l’histoire du cinéma, rien de moins. On se doit au minimum de reconnaître toute son originalité, qui nous fera pardonner les possibles failles scénaristiques. C’est un film dont on parlera encore dans 10, 20, 50 ans même.
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.
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