Insomnia (2002)
Cinq ans seulement après le succès d’Insomnia d’Erik Skjoldbjærg, l’inévitable version américaine arrive en salles, et est pilotée par nul autre que Christopher Nolan, qui en est à son troisième film seulement, et son premier avec un budget considérable. Fait rare avec du recul, le scénario n’est ni signé de lui ni de son frère Jonathan. C’est peut-être ce qui explique pourquoi ce film fait contraste dans la filmographie du grand réalisateur, qui pense souvent plus grand que nature. Si cette version d’Insomnia fait un bon travail pour rendre intelligible le récit de base, il ne parvient malheureusement pas à s’élever parmi les meilleurs films du genre.
Comme il est de mise quand on propose un remake, on fait un effort de ne pas trop s’éloigner du matériel original tout en tentant d’améliorer le produit de base. Nous nous transposons cette fois à Nightmute, en Alaska, village qui lui aussi subit le phénomène du jour perpétuel. Kay Connell (Yan-Kay Crystal Lowe), une adolescente de 17 ans, est retrouvée morte, et on fait appel aux policiers Will Dormer (Al Pacino) et Hap Eckhart (Martin Donovan) pour assister la police locale dans l’enquête. Dormer est en effet un ami de longue date du chef de police Nyback (Paul Dooley), basé à Nightmute. La première liberté au scénario original est l’ajout d’une enquête qui plane au-dessus de Dormer au sujet d’un de ses précédant cas, pour lequel il aurait été accusé d’avoir manipulé des éléments de preuve. Dès le départ, on apprend qu’Eckhart doit témoigner dans l’affaire, ce qui rend la relation entre les partenaires plutôt tendue. Ceux et celles qui ont vu l’original savent que cela n’augure pas très bien pour son partenaire qui, lors d’une embuscade tendue au tueur présumé de Connell, est accidentellement (?) tué par Dormer, le tout sous les yeux du tueur. Dormer n’a d’autre choix que de camoufler les preuves qui pèsent sur lui, surtout lorsque Ellie Burr (Hilary Swank), admiratrice du célèbre policier, est chargée d’enquêter sur cet accident.
Dormer poursuit néanmoins sa propre enquête, et finit par retracer le tueur, Walter Finch (Robin Williams). Celui-ci tentera de manipuler le policier en lui disant qu’il l’a vu tuer son partenaire. Les deux entretiendront une relation particulière qui les feront descendre dans une spirale inévitable vers le crime. Cette relation est, à mon avis, beaucoup mieux exploitée que dans le film original, bien qu’elle soit par moments farfelue. Les deux hommes sont en constante communication pour s’assurer que l’un et l’autre ne se fasse pas prendre dans leur enquête respective. En fait, le principal ajout de cette version est de donner des motivations plus claires à chacun des personnages. On a en quelque sorte « américanisé » le script original, en bien comme en mal. Certes, l’histoire est moins confuse, mais on tente de rendre le personnage d’Al Pacino sympathique (pour autant que ce soit possible) auprès des spectateurs. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais on s’éloigne de l’étude de personnage pour se retrouver vers un récit procédural.
Ce personnage principal est en effet considérablement différent de celui de Stellan Skarsgård. Pacino, très énergique et expressif, donne au policier une personnalité qui contraste avec l’austérité de Skarsgård. C’est donc une énergie différente qui se dégage des deux films, et il serait difficile de déterminer quelle version réussit le mieux à cet égard. Pacino est à la hauteur de son talent, tout comme Robin Williams qui, s’il n’interprète que rarement des rôles sérieux, joue très bien malgré tout en personnifiant un tueur en série des plus banals. Le personnage d’Hilary Swank a également reçu un meilleur traitement que celui de Gisken Armand. Elle joue un rôle critique dans le dénouement de l’histoire qui, même s’il est très hollywoodien, ne verse pas à outrance dans le sensationnalisme.
Il faut toutefois admettre que l’histoire originale, même après le traitement américain, demeure assez décevante. Sa principale force est de constamment changer de « type » de récit policier. L’histoire débute en whodunit assumé, puis passe au policier qui camoufle l’un de ses crimes, pour finir en situation de chantage entre le héros et le vilain. Christopher Nolan a tout fait en son pouvoir pour nous offrir un film convaincant, et il l’est, sans l’ombre d’un doute. Toutefois, il ne peut agir dans un cadre assez souple pour donner place à l’étendue de sa vision. La scène la plus spectaculaire est possiblement celle où Dormer et Finch se poursuivent sur des billots de bois flottant sur l’eau, mais c’est bien peu à se mettre sous la dent pour le réalisateur connu pour ses effets spéciaux déjantés. En fait, on a plutôt l’impression qu’il a accepté de réaliser le projet pour ajouter une ligne à son C.V., ce qui n’est pas une mauvaise chose, mais cela transparaît un peu à l’écran. Heureusement, le film lui aura permis de décrocher le contrat pour la trilogie The Dark Knight, ce qui n’est pas rien.
Insomnia améliore certains aspects du matériel original, mais en abandonne d’autres qui auraient été autant intéressants. Je serais tenté de trouver cette version supérieure à l’originale, mais c’est peut-être seulement parce qu’elle adopte une trame plus conventionnelle et plus claire. L’originale fait un effort pour véritablement s’inscrire dans la tradition des polars scandinaves, alors que Nolan propose plutôt un typique film policier hollywoodien. C’est une histoire remplie de bonne volonté, mais qui n’est tout simplement pas suffisamment accrocheuse. N’en demeure pas moins qu’on peut passer un bon moment en la visionnant, et que si mon appréciation des deux versions est moindre que celle des critiques qui ont vu ces films à leur sortie, c’est peut-être tout simplement que ce n’est pas mon genre de récit. Je ne discrédite pas pour cette raison l’un ou l’autre des versions, qui, je crois, sauront tout de même plaire à certains amateurs du genre.