La relève
L’exode rural fait sentir ses effets depuis de nombreuses décennies déjà. Si, au début du 20e siècle, on voyait une large partie de la population s’établir en ville pour des raisons économiques (surtout le travail dans les industries), cet exode s’est poursuivi au-delà de cette période, et est toujours en branle. Aujourd’hui, une plus jeune génération poursuit ses études supérieures au sein des grandes villes, et bien peu d’entre elle retournera finalement dans leur ville ou village d’origine. C’est ce concept, appliqué au monde vétérinaire, qu’explore La relève (Les vétos en France). Pour sa première réalisation, la réalisatrice Julie Manoukian nous plonge au coeur de la réalité des vétérinaires en milieu rural (mais également de tout autre professionnel en corolaire), dans un réalisme certain qui démontre la connaissance de Manoukian de ces enjeux. Le résultat, bien que redondant, parvient à nous sensibiliser sur cette problématique, bien qu’il n’apporte au final aucune piste de solution.
L’histoire se transporte au cœur du Morvan, une région très peu exploitée dans le cinéma français. Nico (Clovis Cornillac), dernier vétérinaire du coin, se démène pour sauver ses patients, sa clinique et sa famille. Quand Michel (Michel Jonasz), son associé et mentor, lui annonce son départ à la retraite, Nico sait que le plus dur est à venir. Michel lui annonce avoir trouvé de la relève, la perle rare : sa nièce Alexandra (Noémie Schmidt). Toutefois, elle n’est diplômée que depuis 24 heures, et ne semble pas propice à pratiquer, elle qui compte entrer en laboratoire pour y faire de la recherche sur les différentes variantes de l’influenza (sujet plus qu’actuel, il va sans dire). Brillante, misanthrope, et peu encline à revenir s’enterrer dans le village de son enfance, Michel l’incite à venir y faire un tour, et l’implique malgré elle dans les affaires de la clinique. Nico tentera de la faire rester, mais ses réticences sont nombreuses.
Ce qui frappe au premier regard, c’est l’attention qui est portée au réalisme des pratiques médicales. Une sensibilité de la réalisatrice est palpable dans le but de créer un univers crédible, et c’est pour le mieux. Ainsi, on y voit bel et bien Cronillac et Schmidt administrer des soins aux animaux, démontrant le dévouement des deux principaux acteurs. À cet égard, ils sont très convaincants dans leur rôle respectif, surtout Cornillac. On ne peut malheureusement pas en dire autant de Juliane Lepoureau, dont le rôle n’est qu’accessoire au récit, elle qui interprète Zelda, cette jeune fille qui tente par-dessus tout de devenir vétérinaire. La faute ne peut lui être attribuable, puisqu’on l’instrumentalise en quelque sorte pour servir de motif émotionnel pour faire rester Alexandra au village. Ses répliques sont peu crédibles, et on comprend rapidement qu’on veut faire savoir à l’auditoire qu’une relève sera possible dans quelques années.
Tout au long du récit, Manoukian aborde les thématiques classiques de l’exode rural : manque de relève, salaire médiocre (en comparaison à celui des villes), surcharge de travail, vie familiale sacrifiée, etc. Bref, tout ce qui a trait au contact humain, personnalisé, par opposition à la mécanisation et l’aspect impersonnel des villes, probablement hérité du passé industriel de la plupart de celles-ci. Peut-être est-ce seulement ma plus grande connaissance sur le sujet, mais j’ai observé une certaine insistance, une redondance des situations traitant de ces thématiques. J’ai l’impression qu’on n’aborde pas en profondeur ces enjeux, ou du moins qu’on présente des situations peu originales. Ces dommages collatéraux, on peut très bien les imaginer sans être un expert du sujet. Le résultat est un film sans surprise, qui n’offre aucune piste de solution.
Quelles sont ces solutions, justement? Dans La relève, tout tient du miracle, ou du concours de circonstances. Pour Alexandra, réticente du début à la fin à s’installer à Mhère, c’est une amourette avec Marco (Matthieu Sanpeur) qui la fera douter. Pour Nico, c’est l’altruisme, le sentiment du devoir accompli. Pour d’autres, ce sera l’amour du pays. On s’entend toutefois que ce sont des critères assez subjectifs, dont le pouvoir d’attraction est très limité. Le but de Manoukian n’est pas d’aller jusque-là, mais j’aurais apprécié qu’on aborde la question politique derrière cet enjeu. Plutôt que de tenter de colmater les brèches au cas par cas (j’entends ici le départ de Michel), on aurait pu présenter les véritables campagnes de séduction que plusieurs villages font actuellement pour attirer de nouveaux professionnels. De voir la communauté s’organiser pour assurer une relève pérenne (un peu à la Grande séduction) plutôt que de critiquer la cosmopolite fraîchement venue aurait, à mon sens, jeté un nouveau regard sur la question. Mais bon, peut-être que ces mouvements populaires ne relèvent (pardonnez le jeu de mot) que de l’exception, ou du fait divers.
La relève n’est pas exempt de qualités. Il s’avère une comédie dramatique légère (par opposition à Au nom de la terre, qui s’intéressait de façon très dramatique à la réalité des fermiers français et belges) avec un message social porté par des personnages intéressants. Toutefois, on déplore un manque d’originalité, une certaine banalité inhérente. Il y a un manque de péripéties évident qui, sans endommager le message du film, pourra déplaire à un certain auditoire. Est-ce que Mhère parviendra à charmer la jeune Alexandra pour l’inciter à s’installer au village? On l’espère. Sinon, on se consolera que la jeunesse du village soit plus sensible à ce manque de main-d’oeuvre et on souhaitera que leur amour des régions l’emporte sur le pouvoir d’attraction des grandes villes.
La relève prendra l’affiche le 30 octobre 2020 au Québec.