Nomadland
Rares sont ces films au sujet difficile qui sont aussi relaxants et apaisants que Nomadland, le nouveau projet de la réalisatrice Chloé Zhao (The Rider). Campé dans l’ouest américain, le récit s’intéresse à Fern (Frances McDormand), une veuve sexagénaire qui, au chômage depuis la fermeture de sa ville minière du Nevada, adopte un mode de vie nomade dans sa camionnette. Elle parcourt le pays du nord au sud en occupant des emplois temporaires, d’un contrat chez Amazon durant la période des Fêtes au parc national des Badlands au Dakota du Sud. Cette nouvelle dynamique l’amène à côtoyer une communauté de gens qui, comme elle, ont vécu les contrecoups de la crise économique de 2008 et qui sont depuis en marge de la société. Fern fera la rencontre d’une multitude de personnes aux expériences diverses, notamment Dave (David Strathairn) qui lui fera reconsidérer l’espace d’un instant ses choix de vie.
Les États-Unis sont depuis plusieurs décennies un pays aux inégalités frappantes qui sont en partie le résultat du concept de rêve américain, sorte d’idéal de vie à atteindre, inaccessible toutefois à une majorité de la population. Cette quête continuelle du succès a bénéficié à certains, mais aura eu des conséquences néfastes et durables sur un grand nombre de gens. C’est ce qui est au cœur de la trame narrative de Fern, qui a tout perdu lorsque l’usine qui faisait littéralement vivre sa communauté a fermé, forçant sa population à se relocaliser. La plupart ont déménagé dans des villes voisines, mais Fern, dont le mari est décédé peu de temps après la fermeture, a choisi la vie de nomade puisque plus rien ne l’incite à vouloir s’établir quelque part. Elle s’engage dans une voie de solitude parsemée ici et là de quelques personnes qui, comme elle, ont adopté cette nouvelle façon de vivre.
Le film fait beaucoup réfléchir sur la façon dont on traite les personnes de cinquante ans et plus aux États-Unis. Cette population, souvent plus vulnérable, est parfois laissée pour contre par les gouvernements, toujours tournés vers l’avenir et qui préfèrent davantage investir dans la jeunesse que dans ces travailleurs au bord de la retraite. Qu’arrive-t-il lorsque l’usine pour laquelle on a travaillé toute sa vie ferme ses portes sans crier gare, laissant une population souvent peu éduquée au seuil de la pauvreté, sans sécurité d’emploi ni régime de retraire? Certains, comme Fern et quelques autres personnes du film, adopteront un mode de vie quasi survivaliste qui les amènera à changer complètement leur mentalité. D’autres sont forcés à se recycler vers d’autres types d’emploi qui sont souvent peu ou pas adaptés à leur réalité. Tous, cependant, sont laissés pour compte.
Mais s’il y a une chose que Nomadland et ses intervenants ne font pas, c’est s’apitoyer sur leur sort. Il y a une certaine valeur thérapeutique dans ce film qui observe le plus naturellement possible Fern, mais aussi toute cette communauté de vrais nomades (la plupart ne sont pas des acteurs) prendre leur vie en main et faire en sorte que les dernières années de leur vie, aussi difficiles soient-elles, se déroulent comme ils l’entendent. Toute leur vie ces personnes se sont intégrées à un système qui les a finalement laissé tomber, justifiant en quelque sorte ce désir de liberté, cette autarcie qu’ils appellent la van life. Jamais un film n’aura réussi à dégager autant de poésie de personnes ordinaires comme le fait Chloé Zhao ici. Sans tomber dans la victimisation, la réalisatrice veut rendre justice à ces nomades modernes qui, contrairement à certains jeunes, n’ont pas eu d’autre choix que d’adopter ce mode de vie. Son approche documentariste ne veut ni glorifier ni mépriser le nomadisme, mais plutôt le dépeindre dans toutes ses nuances et subtilités.
L’actrice doublement oscarisée Frances McDormand livre une fois de plus une performance exemplaire, à un point tel que certaines des personnes qui l’ont côtoyée et qui ne la connaissaient pas croyait véritablement à son histoire. Son jeu est tout en nuance et authentique, parfois improvisé, mais toujours vrai. Elle ne cherche jamais à en faire trop, et parvient dans son non-verbal à rendre plusieurs émotions qui sont difficilement exprimables en mots. Elle pourrait fort bien recevoir une troisième statuette de meilleure actrice en avril prochain (et une quatrième si la production est élue meilleur film), et ce serait grandement mérité.
Tout ou presque dans Nomadland vise juste, de la direction photo soignée qui fait ressortir la beauté des paysages américains à la douce musique de Ludovico Einaudi qui nous berce de scène en scène, des visées contemplatives et philosophiques de son scénario aux interprétations terre à terre de ses intervenants. Le film remportera de nombreux prix à la prochaine cérémonie des Oscars, non pas parce que l’offre cinématographique de 2020 a été particulièrement limitée, mais bien parce qu’il est un véritable bijou apaisant sorti dans une année des plus anxiogènes. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Zhao sera aux commandes de Eternals, l’un des prochains films du Marvel Cinematic Universe, et on a bien hâte de voir quel type de film elle nous concoctera pour l’occasion!
Fait partie des 1001 films à voir.
Fait partie du top 250 d’Alexandre (#141).