Rebecca (1940)
Alfred Hitchock est connu pour ses nombreux thrillers à grand déploiement. Lorsqu’on pense au maître du suspense, ce sont les Psycho, The Birds, Vertigo et Rear Window qui nous viennent d’abord en tête. Si un seul de ces films aurait fait la carrière de n’importe quel réalisateur, Hitchcock a enchaîné les succès, au Royaume-Uni comme aux États-Unis. Avec des films comme The 39 Steps et The Lady Vanishes, le célèbre producteur David O. Selznick lui proposera de venir en Amérique en 1939, et Rebecca est le premier film issu de leur collaboration. Remportant nul autre que l’Oscar du meilleur film, ce premier projet tombera toutefois dans l’ombre des autres succès d’Hitchcock. Lorsque le film qui a remporté les grands honneurs n’est même pas parmi les films les plus connus d’une personne, on sait qu’on est en présence d’un grand réalisateur à la carrière extraordinaire.
L’histoire est basée sur un roman de Daphne Du Maurier. À la fin des années 1930, une jeune femme (Joan Fontaine), assistante de Mrs. van Hopper (Florence Bates), fait la connaissance de Maxim de Winter (Laurence Olivier) lors de leur séjour à Monte Carlo. De Winter est le gentleman propriétaire de Manderley, la maison la plus réputée d’Angleterre. Lorsque Mrs. Van Hopper tombe malade, l’assistante et de Winter se rapprochent, enchaînant les balades en voiture et les soupers romantiques. Ayant repris du mieux, Mrs. Van Hopper doit quitter pour les États-Unis, ce qui pousse de Winter à demander l’assistante en marriage (malgré qu’ils soient issus de classes sociales différentes), et ainsi, elle devient Mrs. de Winter.
À son arrivée à Manderley, elle constate toutefois que la présence de la précédente femme de de Winter, Rebecca, pèse lourd. C’est qu’elle est tristement décédée l’année précédente d’un accident de bateau, au large de la côte de Manderley. Personnifiant la parfaite lady anglaise, elle manque à tous et à toutes, particulièrement à M. de Winter et à Mrs. Danvers (Judith Anderson), la gouvernante. Mrs. de Winter doit donc essayer de se forger sa propre identitée à Manderley, tout en tentant de se rapprocher un tant soit peu de ce qu’était autrefois Rebecca.
Si on reconnait certains traits caractéristiques du réalisateur (histoire d’amour, tension inhérente au récit), force est d’admettre que Rebecca est beaucoup plus un thriller psychologique qu’un suspense de haute voltige. Oubliez les escapades sur le Mont Rushmore ou les poursuites d’avion : on est ici en présence d’une histoire plutôt simpliste, mais teintée de mystère. La force du film est de nous faire sentir tout le poids de l’aura que dégage Rebecca après sa mort, sans pour autant qu’on ne la voit. Pire encore : le personnage principal n’a pas de nom (autre que Mrs. de Winter), renforçant le constrate avec l’ex-femme de Max. En fait, rien ne pourrait plus opposer ces deux femmes, chose que Max, sa famille, Mrs. Danvers et tous les serviteurs lui rappelle constamment. Ce faisant, Mrs. de Winter est complètement dépaysée, et tente à la fois d’imposer sa propre identité tout en suivant les traces de Rebecca.
Cette identité, elle finit par la trouver dans la seconde moitié du film, là où le véritable suspense débute. Lorsqu’un accident de bateau survient, on découvre (à nouveau) le corps de Rebecca, ce qui amène une nouvelle dose de mystère sur sa mort. Dès lors, nous sommes moins dans le mélodrame et plus dans le thriller, ou l’enquête policière. Ce changement de ton est bienvenu, puisqu’on sent une certaine stagnation à mi-parcours. Si on ne met pas complètement de côté la romance entre M. et Mrs. de Winter (qui sera consolidée dans cette partie, par ailleurs), on aborde un nouvel aspect de cette sordide histoire, dont le mystère planait dès les premiers instants du film.
Olivier et Fontaine sont tous deux très bons dans leur rôle respectif. Si la réputation de l’un et de l’autre n’est plus à faire, ils livrent ici une performance mémorable, surtout Fontaine. Mais c’est peut-être Judith Anderson qui vole la vedette, dans le rôle de la sévère Mrs. Danvers. Elle est stéréotypée, certes, mais on sent tout l’amour qu’elle voue à Rebecca, un amour quasi charnel (si tel était possible au cinéma en 1940). Oui, elle se veut la protectrice d’une tradition conservatrice aristocrate, mais d’abord et avant tout, c’est Rebecca qu’elle aime et qu’elle veut protéger. En divulguer davantage pourrait gâcher certains retournements scénaristiques, mais disons que les deux partageaient leur passion pour Manderley et sa réputation.
Rebecca, vu de nos jours, peut manquer un peu d’originalité. Certes, sa construction est efficace et contemporaine, mais c’est une histoire qu’on peut deviner assez aisément. Plusieurs films en ont repris le dénouement, ce qui évidemment peut nuire à notre appréciation. Mais un film d’Hitchcock, ce n’est pas que des histoires surprenantes. C’est d’abord et avant tout une ambiance, et une fois de plus il prouve l’étendue de ses talents. Si effectivement on pourra lui préférer Psycho ou Rear Window, Rebecca demeure un amalgame parfait entre sa période britannique et américaine.
Plusieurs aspects du film sont à souligner, notamment la direction artistique, la direction photo et la musique (toujours aussi présente dans ses films). Au final, c’est un film qui à l’époque était plus novateur qu’il ne l’est aujourd’hui, mais qui s’apprécie tout de même avec notre sensibilité actuelle. Rebecca est très campé dans son époque (abordant l’aristocratie britannique de l’entre-deux-guerre), tout en conservant un attrait intemporel. Un autre classique du réalisateur à découvrir, une fois avoir épuisé les films susmentionnés.
Fait partie de la Collection Criterion (#135).
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.