The Jazz Singer
Peu de gens n’ont jamais entendu parler de The Jazz Singer à un moment ou un autre. Reconnu comme le premier long métrage avec une trame sonore synchronisée à l’image, le film est également le premier à présenter certaines scènes avec des dialogues et du chant. Avec lui, le cinéma parlant était né, et le muet était voué à une rapide disparition. C’est à la compagnie Warner Bros. que revient le crédit de l’invention du Vitaphone, ce procédé qui permet d’ajouter du son à l’image. Grâce à la coopération accrue des studios rendue possible par la création de l’AMPAS (American Montion Picture Arts and Science), cette technologie se propagea rapidement, et dès 1929 la plupart des films hollywoodiens avaient délaissé les intertitres pour les dialogues. Une révolution majeure au cinéma, qui aura l’effet d’une bombe. Il terminera la carrière de beaucoup d’acteurs et d’actrices, surtout européens, eux qui peinaient à s’adapter à l’arrivée du son avec leur fort accent. Toutefois, un nouveau monde de possibilité se présentait, et c’est avec cette invention que Hollywood allait prendre de l’expansion plus que jamais.
C’est véritablement le seul fait d’arme de Jazz Singer, puisque son histoire, bien que représentant une mise en abîme, est assez simpliste. Basé sur une pièce du même nom de Samson Raphaelson, le film raconte l’histoire du jeune Jackie Rabinowitz (Bobby Gordon, mais interprété par Al Jolson à l’âge adulte) qui décide de quitter sa famille puisque son père, Cantor Rabinowitz (Warner Oland), voudrait voir son fils devenir à son tour le chantre d’une synagogue du Lower East Side, à New York. Jackie, toutefois, se passionne pour le jazz, et performe dès l’âge de treize ans, dans les cafés et bars du quartier, au grand dam de son père. Sa mère, Sara (Eugenie Besserer), ne souhaite que le bien de son fils, mais doit en quelque sorte adopter la position de son mari sur le sujet. Jackie fugue, et dix années passeront.
Devenu adulte, on le retrouve alors qu’il performe toujours dans des bars. On l’introduit à Mary Dale (May McAvoy), une danseuse dans une comédie musicale, qui offre de l’aider à lancer sa carrière, avec succès. Jackie décroche un rôle majeur dans une nouvelle pièce, April Follies, qui le ramènera à New York. Il tentera donc de renouer avec sa famille, malgré les réticences de son père.
C’est la typique histoire d’un jeune plein d’ambition qui tente de s’émanciper des valeurs traditionnelles de ses parents. Cela semble un récit assez intemporel, mais qui devait tout de même résonner plus fort à la fin des années 1920 qu’il ne le fait de nos jours. On a depuis vu une multitude d’histoires similaires, alors l’effet de surprise n’est évidemment plus au rendez-vous. À l’époque, toutefois, il y régnait un conservatisme religieux plus important qu’aujourd’hui. En ce sens, The Jazz Singer devient un film relativement intéressant au niveau scénaristique, sans plus.
Toutefois, aujourd’hui comme à l’époque, c’est pour voir les personnages parler (ou chanter plutôt) que le public s’intéresse au film. Et ils n’ont pas dû être déçus! Dès les premières minutes du film, on entend le jeune Jackie chanter, mais après une quinzaine de minutes, c’est au tour d’Al Jolson, chanteur et acteur bien connu à l’époque, de nous envoûter avec sa voix mélodieuse. La qualité sonore est assez impressionnante pour l’époque (évidemment, puisque c’est le premier film parlant), mais outre ça, c’est la qualité de la synchronisation qui nous étonne. Même plusieurs années après la sortie de The Jazz Singer, plusieurs films peinent à synchroniser le son et l’image. On peut penser à plusieurs films de la Nouvelle Vague, bien que le souci principal de leurs films ne soient pas la perfection technique, il faut l’admettre. Néanmoins, le film demeure un exemple à suivre pour les autres studios hollywoodiens qui voudront le plus rapidement possible emboîter le pas et offrir des films parlants à un public qui devenait de plus en plus désintéressé par le cinéma.
Le choix d’adapter cette pièce n’est pas anodin, aux vues de ce que le film représente. La trame de fond du récit est l’opposition entre la tradition et la modernité. Jackie tente de devenir un homme moderne et d’abandonner la tradition religieuse pour se lancer pleinement dans sa carrière. L’arrivée du son représente exactement cette transition d’un mode de production traditionnel vers un qui se veut plus moderne. Elle aura des dommages collatéraux importants, notamment la perte de plusieurs acteurs comiques comme Harold Lloyd et, dans une certaine mesure, Charlie Chaplin, mais il révolutionnera le cinéma malgré tout.
Il faut tout de même avouer que le film a été assombri par la présence d’un blackface, qui n’est qu’un des éléments qui font que le film a mal vieilli. Son rythme est également très saccadé, surtout en raison de la coupure des numéros musicaux qui, s’ils sont essentiels, ont peu de charme. Les chansons sont bonnes mais sans plus. La magie du film a évidemment disparu avec le temps, mais on peut tout de même saisir l’état d’esprit de l’auditoire de l’époque, qui devait être ébahi par l’exploit.
The Jazz Singer est l’un de ces films qui est plus intéressant par ce qu’il représente que par la qualité générale du film. On est loin d’un chef-d’oeuvre, mais c’est un film qui s’apprécie tout de même comme une curiosité, une superposition entre le cinéma muet et parlant. Une belle pièce d’archive vouée à être préservée en raison de son statut particulier.
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.