Une révision
Étienne (Patrice Robitaille) enseigne la philosophie au cégep. Il affectionne particulièrement Spinoza, et lors d’un travail portant sur celui-ci, Nacira (Nour Belkhiria), pourtant une bonne élève, obtient moins que la note de passage puisqu’elle cite dans son argumentaire un extrait du Coran. Les critères d’évaluation étaient pourtant très clairs et interdisaient d’avoir recours à tout texte religieux pour ce travail relevant de la pensée philosophique. Après des explications qui ne la convainquent pas, Nacira décide de demander une révision de sa note auprès de l’administration du cégep. Frileuse, la directrice des études (Édith Cochrane) menace Étienne de sanction s’il ne révise pas sa note. S’ensuit alors un dilemme éthique entre défendre ses idéaux ou acheter la paix.
Premier long métrage de Catherine Therrien, Une révision propose d’aborder de front la question de la liberté académique. Rappelant la polémique du mot en « N » qui a secoué le milieu universitaire québécois l’an dernier, l’enjeu au cœur du récit oppose ici plutôt la raison et la foi, deux concepts qui, à mesure que le film avance, apparaissent de moins en moins antithétiques. D’un côté, Étienne semble guidé par le principe que les écrits des grands philosophes ont une plus grande valeur argumentative que les textes religieux, souvent anonymes. De l’autre, Nacira est convaincue qu’il n’y a pas de différence entre adhérer aux principes de Mahomet ou de Spinoza. Le sujet est épineux, et on oscillera entre le point de vue de l’un et de l’autre tout au long du visionnement.
Bien rapidement toutefois on comprend que le réel conflit au cœur du récit oppose non pas Nacira et Étienne, mais bien le professeur et l’administration. Déconnectés de la réalité et tentant d’être le plus séant possible, le directeur du département (Michel Laperrière) et la directrice des études veulent apaiser l’imminente crise médiatique que pourrait causer un tel débat. Le point culminant du récit, où le professeur et l’étudiante doivent exposer leur point de vue devant un jury particulièrement biaisé, nous démontre que nous assistons à un débat entre deux personnes qui possèdent la pensée critique, face à une administration complètement irrationnelle.
La grande force d’Une révision réside dans les conversations que le film va susciter après le visionnement. Chacun des spectateurs aura sa propre position dans ce dilemme, et on prendra plaisir à se questionner sur ce qu’on aurait fait si on avait été dans la situation d’Étienne. En ce sens, Therrien fait un excellent travail pour ne pas imposer sa propre vision des choses : elle brosse un portrait nuancé de la situation en s’assurant de présenter les deux côtés de la médaille, un peu à la manière d’une professeure de philosophie qui cherche non pas à nous faire adhérer à une idée, mais plutôt à éveiller notre esprit critique.
C’est en ce sens qu’on pardonnera les quelques incongruités scénaristiques et les élans dramatiques somme toute superflus. Il est vrai qu’il s’opère depuis quelques années un certain changement pédagogique au sein des institutions d’études supérieures, mais on peine à croire qu’Étienne pourrait véritablement perdre son emploi s’il s’avérait que le jury révise la note de Nacira. L’administration a à cœur la réussite de ses étudiants et étudiantes, mais il semble également saugrenu qu’elle puisse véritablement s’immiscer de la sorte dans les champs de compétences du corps professoral et questionner les critères d’évaluation (plus que raisonnables) d’un professeur. De même, si la relation entre Étienne et Rachel (Anne-Élisabeth Bossé) peut servir à humaniser quelque peu le récit, toute la trame narrative autour de Maude (Rose-Marie Perreault) est inutilement sensationnaliste et sent le réchauffé. Saluons néanmoins au passage la distribution, particulièrement juste.
Certains verront dans Une révision un appel à une plus grande liberté académique, d’autres à un besoin de modernisation des institutions rigides. D’autres encore conforteront leur opinion sur l’importance de la laïcité, alors que plusieurs souligneront l’analogie évidente entre cette situation et le tribunal public que sont devenus les médias sociaux. Si le film aborde, à échelle variable, chacun de ces enjeux, il se veut d’abord et avant tout une invitation au dialogue, un appel à la raison et à la discussion respectueuse entre personnes aux opinions divergentes. Une révision s’inscrit évidemment dans un zeitgeist très actuel et on pourra questionner sa pertinence à long terme. Il y avait des dizaines de façons d’aborder un tel sujet, nous avons heureusement droit à la meilleure version qui puisse être.