La Collection Criterion (#1-10)
Comme vous le savez sûrement, nous avons amorcé le projet fou de visionner tous les films de la Collection Criterion et de faire un podcast sur chacun des films. Cela nous est évidemment venu lors de l’annonce du confinement généralisé lié à la Covid-19, mais cela s’inscrit également dans une passion grandissante envers les films de la Collection. C’est un organisme qui me tient à cœur et dont la sélection est impressionnante, même si plusieurs films sont totalement obscurs. Après avoir terminé le visionnement des dix premiers films, on peut vous faire un compte rendu de notre expérience.
Alex
Je suis très surpris de voir que sur ces dix premiers films, aucun ne provient des États-Unis. Si c’était intentionnel, c’est un message fort que l’organisme envoie à ses fervents partisans : le cinéma ne tourne pas autour de l’Amérique (contrairement à ce qu’on peut observer dans nos cinémas actuellement)! Bien qu’aujourd’hui la grande majorité des films de la Collection soient américains (on ne peut pas non plus nier leur immense apport au cinéma), on constate le désir de Criterion de faire connaître le cinéma international, à travers de très grands classiques, notamment.
Ces classiques, on les retrouve avec des films comme La Grande Illusion, Seven Samurai (Shichinin no samurai), Les 400 coups, et La Belle et la Bête, notamment. On retrouve également Amarcord et The Lady Vanishes qui, s’ils sont réalisés par Fellini et Hitchcock respectivement, ne font pas partie de leurs films les plus connus, eux qui offrent une filmographie très impressionnante. On dénote aussi une bonne représentativité dans ces dix films : 3 films français, 2 films britanniques, 2 films d’Hong Kong, un film australien, un italien et un japonais. Représentativité de nationalités, certes, mais également de genres! On retrouve ainsi un peu de tout, de la Nouvelle Vague française (et australienne) aux premiers blockbusters modernes (Seven Samurai et A Night to Remember), du film fantaisiste aux films d’action déjantés (merci à John Woo pour ça!), du film autobiographique au film de guerre (pacifiste, tout de même). D’ailleurs, qui aurait cru que ce même Woo aurait été le premier réalisateur à avoir deux de ses films dans la Collection? Bref, cette première dizaine en offre pour tous les goûts!
Sur le plan personnel, les films qui m’ont le plus accroché ne sont pas nécessairement ces grands classiques du cinéma. En fait, mes trois films préférés sont La Belle et la Bête, Amarcord et Hard Boiled (Walkabout se qualifiant pour une très solide et serrée 4e place). Nous avons déjà exposé nos justifications dans nos précédentes balados, ou encore nos critiques (que vous pouvez retrouver dans leur section respective du site). Le choix de ces films a été fait avec une extrême difficulté (sauf pour La Belle et la Bête, qui frôle le chef d’œuvre). Une première provient du fait que tous ces films, sauf peut-être The Killer qui ne m’a pas fait une si bonne impression, sont d’une très grande qualité. L’écart est mince entre un film en 4e place et en 9e place, car chacun a quelque chose à offrir qui leur est propre. Une deuxième difficulté provient d’une certaine stigmatisation par rapport à ces choix. Comment, en effet, préférer un film comme Hard Boiled, somme toute assez obscur et relativement oublié, à Seven Samurai, que plusieurs considèrent le meilleur film de l’histoire? La raison principale provient en grande partie d’un élément subjectif. Tous les goûts sont dans la nature au cinéma, et il est important de ne pas bouder son plaisir, et ce, même aux dépens des films qui sont universellement acceptés. Je ne peux m’empêcher d’avoir été plus investi dans Walkabout que dans La Grande Illusion, par exemple. Cela réfère à des thématiques que j’apprécie plus, bien que le second ait plus à offrir historiquement et culturellement parlant.
En fait, cela se rattache à un 3e coefficient de difficulté : l’appréciation après une seule écoute. La plupart des films que Criterion propose ont plusieurs niveaux d’analyse, qui sont majoritairement soulevés soit dans les suppléments du film ou dans une recherche effectuée après le visionnement. Pour nous deux, ces dix premiers films étaient nouveaux (sauf pour moi qui avais déjà vu, il y a plusieurs années maintenant, The Lady Vanishes). Notre appréciation se base sur cette seule écoute, sur ce que le film nous fait ressentir, mais surtout ce que l’on dégage – sans recherche préalable – du film. Il ne faut pas se leurrer non plus : rares sont les films que l’on visionne plus d’une fois. Un film devrait essayer de donner plusieurs pistes de questionnement dès la première écoute, et nous donner envie de le revoir pour en décortiquer certains éléments. C’est pourquoi je risque de revisionner Walkabout avant A Night to Remember.
Un autre bon critère d’évaluation est aussi l’impact qu’un film a sur nous plusieurs jours après le visionnement. Un film qu’on peut trouver moyen quand on le regarde peut nous rester en tête très longtemps, et nous forcer à reconsidérer notre appréciation. Personnellement, j’ai toujours en tête Walkabout, Les 400 coups et La Grande Illusion, alors que La Belle et la Bête est selon moi le meilleur film du lot. J’ai même fait passer La Grande Illusion de 3 ½* à 4* lors de la rédaction de ma critique. Ce sont des films dont la recherche, mais également le contenu, m’ont poussé à réfléchir plus que d’autres. C’est généralement gage d’une certaine richesse de thématiques, mais également d’une certaine « appréciation refoulée » de ma part. Il va sans dire que j’ai bien hâte de les visionner à nouveau, et fort probablement qu’ils monteraient au classement d’un second top 10.
Cet impact est évidemment propre à chacun.e d’entre nous, pour des considérations qui nous sont propres. Il ne faut pas se sentir mal d’aimer un film de genre (qui fait référence aux films de série B) avant un grand classique comme Citizen Kane. Toutefois, il faut, à mon avis, visionner ces grands classiques du cinéma, qui ont été une influence pour tant d’autres films et courants majeurs. Avec le temps, les goûts se raffinent, même s’ils sont évidemment changeants dans le temps. Prendre contact avec ces grands classiques, ce n’est pas la raison principale qui nous pousse à visionner les films de la Collection Criterion, après tout?
Top 10 :
10- The Killer de John Woo (1989)
9- Shichinin no samurai (Seven Samurai) d’Akira Kurosawa (1954)
8- A Night to Remember de Roy Ward Baker (1958)
7- The Lady Vanishes d’Alfred Hitchcock (1938)
6- Les 400 coups de François Truffaut (1959)
5- La Grande Illusion de Jean Renoir (1937)
4- Walkabout de Nicolas Roeg (1971)
3- Hard Boiled de John Woo (1992)
2- Amarcord de Federico Fellini (1973)
1- La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946)
Jade
Se donner comme défi de regarder tous les films de la Collection Criterion, en ordre, fait en sorte que l’on vit des expériences de visionnement aléatoires et c’est tout à fait bienvenu!
Évidemment, on connaît déjà beaucoup de films Criterion. Certains sont des all-time classics dont on a entendu parler à un moment ou à un autre. D’autres ont été repris dans de nombreux autres films ou séries et, lorsqu’on retrouve les segments originaux, on réalise qu’on connaissait déjà ce que l’on voit pour la première fois. Décider de les regarder en ordre, sans se laisser tenter par le fait d’en visionner un qu’on connait de réputation ou qu’on a déjà vu, avant d’arriver à sa position, crée une certaine attente fébrile par rapport à la liste des quelques 1040 titres (en date d’avril 2020).
Les dix premiers titres de la Collection ont tous leurs points forts et leur importance. Rapidement, on peut prendre conscience de la force de Criterion ; jamais dans ces dix films je ne me suis demandé pourquoi ce que je regardais faisait partie de la liste. Les films que j’ai le moins aimés ne sont pas mauvais, ils ne correspondent tout simplement pas à mes goûts habituels. Cependant, les films qui se trouvent aux premières positions de mon top 10 ne sont pas nécessairement des films qui sont habituellement dans mes goûts (et c’est un sentiment extraordinaire). C’est seulement qu’ils m’ont marquée plus profondément que les autres, et que je pense encore à eux parfois plusieurs semaines après mon premier visionnement. Pour certains, j’ai même hâte de les regarder une seconde fois pour pouvoir apprécier leurs subtilités, comme on le fait parfois dans les thrillers enlevants et décousus (les films de Nolan en sont de bons exemples!).
La meilleure manifestation de ça dans les 10 premiers est sans aucun doute Walkabout (mon numéro trois), qui regorge de symboles religieux et dont le montage alterné entre deux types de vie nous fait réfléchir plus profondément que dans La Belle et la Bête (première position), par exemple. Ce dernier, toutefois, pour l’époque a laquelle il a été réalisé, est tout simplement magistral. Les effets spéciaux, décors, costumes et maquillages que l’on a devant les yeux nous étonnent, nous séduisent même, rapidement et sans arrêt du début à la fin. Le film que j’ai placé en 2e position du top 10, Amarcord, n’est pas différent de plusieurs autres films que j’ai vus à l’extérieur de la Collection. S’il se retrouve si près du sommet, c’est qu’il a été rafraîchissant à mon avis de voir quelque chose du genre dans une collection comme celle-là, et ça m’a donné espoir de retrouver aussi des comédies sensibles et intelligentes dans la longue liste qui nous attend.
Avant de me faire lancer des pierres, j’aimerais préciser une chose : Criterion, qui a pour objectif de rendre accessibles des films importants pour l’humanité et d’en assurer la préservation, peut être une collection intimidante quand nos genres préférés sont des thrillers et comédies musicales. C’est pourquoi The Lady Vanishes est nettement plus haut que Seven Samurai dans mon top 10. Au-delà de mon enthousiasme pour le cinéma en général, ce ne sont pas tous les Criterion qui m’intéressent, et je sais déjà que je ne vais pas tous les apprécier. Dans ce cas-ci, ce n’est pas la barrière de la langue qui a nui à mon appréciation, mais la longueur du film, conjuguée à l’histoire, trop lente et somme toute trop simple. Hard Boiled, pour sa part, m’a beaucoup rappelé un Die Hard assumé, et je l’ai énormément apprécié pour cette raison. Quant aux autres films de mon top 10 que je n’ai pas pris la peine d’approfondir ici, c’est qu’ils ne m’ont pas marquée aussi fortement que les autres, se retrouvant alors dans cette sphère tiède et confortable, sans plus.
La Collection Criterion me pousse donc à sortir de ma zone de confort, et je l’apprécie. Parfois j’en ressors agréablement surprise, et dans d’autres cas je peux confirmer davantage mes intérêts cinématographiques. Dans l’une ou l’autre de ces situations, j’en ressors grandie à chaque nouvelle position.
Faire des recherches sur les films avant d’enregistrer nos podcasts me fait replonger dans l’époque où je suivais des cours de cinéma et où on devait analyser des plans, scènes, séquences ou filmographies. C’est une partie que j’apprécie énormément du travail que l’on fait actuellement. Ce qui est beau avec la Collection, c’est que chacun des films que l’on regarde a créé tellement d’échos après, que la recherche est toujours bien riche et nous fait apprendre beaucoup.
Certains des titres qui nous attendent me font déjà trépigner d’impatience, mais le fait de devoir en regarder 300 ou 1000 avant d’y arriver a quelque chose de presque initiatique dans ma façon de voir la longue aventure que l’on a devant nous.
Mon top 10 !
10- Shichinin no samurai (Seven Samurai) d’Akira Kurosawa (1954)
9- The Killer de John Woo (1989)
8- Les 400 coups de François Truffaut (1959)
7- A Night to Remember de Roy Ward Baker (1958)
6- La Grande Illusion de Jean Renoir (1937)
5- The Lady Vanishes d’Alfred Hitchcock (1938)
4- Hard Boiled de John Woo (1992)
3- Walkabout de Nicolas Roeg (1971)
2- Amarcord de Federico Fellini (1973)
1- La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946)