En attendant Bojangles
Inspiré du roman du même nom d’Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles débute en force et en excentricité avec Georges (Romain Duris) qui, dans un cocktail mondain, se fait passer d’abord pour un Roumain descendant de Dracula, ensuite pour le fils du constructeur américain Ford, et enfin pour un riche Italien. Puis, il croise le regard de Camille (Virginie Efira), ou plutôt Amandine, surnommée Jean-Paul. George lui affirme qu’il est son grand-père. C’est le coup de foudre instantané. Les deux dansent comme s’ils étaient seuls au monde, et lorsque les invités se rendent compte du subterfuge de George, Camille se jette à l’eau, suivie de près par son nouvel amour. Vous n’y comprenez rien? C’est normal. Ils vivent dans leur monde imaginaire inventé de toute pièce, que seuls eux peuvent espérer comprendre. Nous ne sommes que de simples spectateurs.
Cette scène d’introduction donne le ton au film, ou plutôt à sa première moitié. Les deux tombent follement amoureux l’un de l’autre, ont un enfant nommé Gary (Solan Machado Graner) en l’honneur de Gary Cooper, et cette famille vit sa vie comme elle l’entend, sans se préoccuper des conventions sociales. Tout bascule cependant lorsque Camille va trop loin un jour et met le feu à leur appartement. Soudainement, la dynamique change. Georges, qui voyait en Camille une femme effrayée par la routine, commence soudain à remarquer que quelque chose cloche chez sa femme. On l’interne alors dans un asile, d’où Georges et Gary voudront la sortir.
Cette coupure drastique entre la comédie et le drame, que l’on sent venir au fil des situations plus surréelles les unes que les autres, est un contraste frappant, mais peut-être pas si souhaité. Alors qu’on pourrait croire qu’En attendant Bojangles propose un récit qui met de l’avant des méthodes pédagogiques alternatives (comme Captain Fantastic par exemple), on se rend contre qu’on a davantage affaire à un film sur la maladie mentale et sur la façon dont celle-ci peut affecter une dynamique relationnelle.
Ce sont des thématiques certes intéressantes, mais qui sont abordées de drôle de manière par Régis Roinsard qui, dans son troisième long métrage, ajoute sa touche personnelle au roman et change l’optique du récit. Alors qu’à l’origine, on s’intéresse surtout au point de vue de l’enfant, Roinsard, lui, s’intéresse au père, et à la dualité qui l’habite entre poursuivre sa relation excentrique avec sa femme et le bien-être de son fils. C’est un changement majeur à l’œuvre originale, bienvenu toutefois, car on aurait rapidement pu tomber dans le réchauffé.
Il est primordial, cependant, que le tandem principal soit particulièrement efficace pour qu’on puisse adhérer au récit, et sur ce point c’est réussi. Duris (qui avait déjà collaboré avec Roinsard dans Populaire) interprète à nouveau cette belle gueule charismatique aux accents comiques, mais il est surprenamment efficace dans les moments dramatiques. On ressent son amour pour Camille et le déchirement qu’il vit lorsqu’il remarque avoir peut-être fait preuve d’aveuglement volontaire sur les agissements de sa femme. Mais c’est surtout Virginie Efira qui brille ici. Sa performance est inspirée, et ses nombreux changements d’humeur sont d’une maîtrise exceptionnelle. Bien que le film s’intéresse davantage à Georges, c’est sur elle que repose la crédibilité du film, et elle remplit superbement sa mission.
Là où le film réussit moins bien toutefois, c’est dans le contraste entre le tragique et le comique, qui ne fonctionne qu’à demi. À partir de ce changement de ton, le film semble vouloir aller dans toutes les directions, sans prendre un point d’appui sur ce qu’il essaie de faire passer comme message. On ne sait plus sur quel pied danser, comme déboussolés dans un tourbillon d’émotions conflictuelles qui au final nous laisse indifférent. Peut-être est-ce dû à une prémisse qu’on a déjà observée plusieurs fois auparavant au cinéma et qui, malgré l’imprévisibilité des situations que l’on tente de nous gaver, manque cruellement de surprise.
Il y a quelques bons moments, et somme toute tous les aspects techniques sont réussis. Les lieux sont sublimes et la France des années 1960 est très bien rendue. Mais En attendant Bojangles manque cruellement de rythme, ou plutôt d’un objectif clair. Je me suis questionné à de nombreuses reprises au cours du visionnement sur ce que le film essayait de faire passer comme message, et je n’en suis toujours pas certain. Est-ce une critique de la façon dont on accompagne les personnes qui sont aux prises avec une maladie mentale? Est-ce une fable sur la famille, un regard sur des parents qui sont demeurés enfants, et un enfant qui, pour y pallier, n’a eu d’autre choix que de maturer plus rapidement? C’est un peu tout ça à la fois, sans aboutir ni l’un ni l’autre. Le titre du film amène une autre piste d’analyse qu’on n’a plus la force d’élucider.
Le film prend l’affiche partout au Québec le 2 septembre 2022. Les images et la bande-annonce sont une gracieuseté de TVA Films.