Funny Pages
Funny Pages débute en force sur une scène entre Robert (Daniel Zolghadri), un jeune élève du secondaire qui aspire à devenir bédéiste, et son professeur de dessin (Stephen Adly Guirgis). Robert hésite à aller à l’université, mais son professeur, qui croit en lui, l’incite plutôt à suivre son rêve et lâcher ses études. Lorsque ce dernier meurt d’un banal accident de la route, c’est la bougie d’allumage dont avait besoin le jeune pour aller à l’encontre des recommandations de ses parents, et quitter définitivement l’école. Il s’installe à Trenton dans un appartement crasseux, et il entend monter son portfolio pour un jour espérer être embauché auprès d’une des compagnies distributrices de bande dessinées.
Le principal problème du film réside dans le rythme inconstant du récit. La première scène est intrigante et comique, mais chacune de celles qui lui succèdent est moins intéressante que la précédente. On comprend rapidement que Robert est prêt à tout pour réaliser son rêve, que ce soit de vivre illégalement dans un sous-sol qui ne respecte aucune norme hygiénique, ou encore de provoquer un pharmacien pour que Wallace (Matthew Maher), un ancien coloriste pour un prestigieux éditeur, ait des preuves dans son procès pour voies de fait contre celui-ci. Robert quitte le confort de sa vie de classe moyenne pour une vie dans l’underground américain, et n’a qu’un objectif en tête : dessiner.
Les cinéastes indépendants ont souvent mis l’accent sur la sous-culture américaine (surtout new-yorkaise). On peut penser aux frères Safdie (d’ailleurs producteurs de ce film), qui sont possiblement les porte-étendards de ce mouvement. Ici, c’est le monde de la bande dessinée qui est exploré, ce qui n’est pas sans rappeler d’autres films du genre, tel que le documentaire Crumb de Terry Zwigoff. L’objectif du présent film est d’exposer un peu cet univers et d’explorer une société américaine en marge de celle habituellement portée à l’écran. Sur ce point, Funny Pages est une réussite.
Le tout passe par la caméra de Sean Prince William, qui filme le tout avec beaucoup de réalisme. Avec un style quasi documentaire, le rendu donne l’impression de faire un saut dans le temps tellement l’image est granuleuse et vieillotte, ce qui peut être vu comme une qualité ou un défaut, surtout pour celles et ceux qui apprécient les films polis auxquels le cinéma hollywoodien nous a habitués. On y relate donc chaque nouvelle épopée de Robert, qui l’amène, le croit-on, un peu plus proche de son rêve, mais on se désole que le tout manque cependant un peu d’intérêt. Si Zolghadri et Maher sont efficaces, on peine à vraiment s’investir de leur quête et à les trouver attachants.
Sur une note plus technique par ailleurs, j’ai trouvé que le film était par moments incompréhensible, moins en raison de problèmes de prise de son que de l’interprétation de certains acteurs, qui marmonnent littéralement leurs répliques. Cela donne une certaine authenticité, certes, mais rend le visionnement difficile. Mais bon, c’est une tendance du cinéma depuis plus d’une dizaine d’années, alors c’est un défaut qui ne peut être attribué qu’à ce film.
Il y a quelques bonnes blagues, mais pas suffisamment pour catégoriser Funny Pages comme une comédie. Ce sont peut-être les situations plus grandes que nature qui pourrait le faire passer comme tel, mais encore. Owen Kline, qui en est à une première réalisation, est une nouvelle voix intéressante du cinéma indépendant, bien que ce film soit trop inégal pour faire suffisamment tourner les têtes. Les personnages sont crédibles, mais trop particuliers pour attirer la sympathie, ce qui fait qu’il s’installe une certaine lassitude plus le récit évolue.
J’avoue avoir eu l’impression de regarder le premier film d’un réalisateur qui connaîtra ses heures de gloire dans une dizaine d’années. On verrait bien Funny Pages dans une rétrospective à la cinémathèque d’un réalisateur devenu populaire, comme on verrait Bad Taste de Peter Jackson ou encore Bottle Rocket de Wes Anderson. Ce sont des films qui démontrent quelque chose de prometteur, mais qui sont mieux appréciés a posteriori, dans l’ensemble d’une filmographie, plutôt que pris séparément. À revoir en 2032!
Le film prend l’affiche le 26 août 2022. Les images sont une gracieuseté de Sphère Films Québec.