Henry V (1944)
Laurence Olivier est l’un des acteurs britanniques les plus connus de l’histoire du cinéma. Il a toujours été intimement lié à ses performances au théâtre et son implication au sein du milieu théâtral anglais. D’une certaine façon, Henry V illustre bien ces trois facettes d’Olivier : l’acteur au théâtre, le metteur en scène et l’acteur au cinéma. Basé sur la pièce « The Chronicle History of King Henry the Fifth with His Battell Fought at Agincourt in France » de William Shakespeare, Olivier, qui en est à sa première expérience en tant que réalisateur, reçoit le mandat de mousser l’effort de guerre britannique à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Si le film a connu une belle popularité à sa sortie (aux alentours du débarquement de Normandie), il faut admettre qu’Henry V a bien mal vieilli.
Le film offre d’entrée de jeu une construction narrative intéressante et novatrice. Il s’ouvre sur un panorama de la ville de Londres en 1600, qui s’arrête sur le Globe Theatre, où l’on retrouve l’auditoire qui prend place. Puis, la pièce commence comme elle aurait été jouée à l’époque. L’archevêque de Canterbury (Felix Aylmer) et l’évêque d’Ely (Robert Helpmann) discutent des affaires de l’état. Ensuite, Henry (Olivier) fait son entrée, et discute avec ses conseillers de l’état du royaume de France. Il reçoit un cadeau du dauphin français – des balles de tennis – ce qu’il considère comme une insulte. Il n’en faut pas plus pour que Henry parte en guerre pour réclamer un trône qu’il considère le sien.
On quitte ensuite le théâtre pour un studio avec des décors plus grands que nature. On suit le roi anglais alors qu’il prépare ses troupes, mais également la royauté française qui a vent de cette attaque imminente. Plus particulièrement, on s’attarde à la princesse Catherine (Renée Asherson), qui jouera un rôle plus grand dans le dernier acte du film. Enfin, on en vient à quitter les décors pour un tournage réaliste en nature pour la fameuse confrontation.
Si cette construction frappe d’entrée de jeu, on constate rapidement que c’est l’un des seuls points forts d’Henry V. L’idée est très bonne, et pendant un instant on croit vraiment que l’entièreté du film sera du théâtre filmé (ce qui aurait été plutôt intéressant, quoique moins à l’époque qu’aujourd’hui). On en vient rapidement à se questionner sur la façon dont la grande bataille sera représentée sur la scène, surtout en 1600. Mais non, on décide plutôt de transiter vers un film plus classique, en mesure d’illustrer l’ampleur du conflit à sa juste valeur. Lorsqu’on s’attarde aux décors de cette seconde partie, toutefois, on constate que l’équipe a voulu recréer certains tableaux médiévaux célèbres à la perspective déficiente. À ce chapitre, le film est sublime, d’autant plus qu’il est tourné en couleur, avec la seule caméra Technicolor disponible au Royaume-Uni.
La dernière partie, assez impressionnante, présente les campagnes « françaises » (le film est tourné en Irlande, demeurée neutre durant la Seconde Guerre mondiale). C’est une centaine de cavaliers qui prennent part à la bataille d’Agincourt, à une époque où très peu de films sortent des studios pour le tournage. La mise en scène est brillante, et on s’étonne qu’Olivier paraisse aussi à l’aise en tant que réalisateur.
Toutefois, outre cet aspect, le film a bien peu à nous mettre sous la dent. Henry V n’est évidemment pas la pièce de Shakespeare la plus connue, et on comprend pourquoi. Très peu de personnages sont attachants, et l’histoire même de la pièce est assez banale. Certaines libertés ont été prises, notamment une scène où Henry fait décapiter trois traîtres de son armée (ce qui n’est évidemment pas souhaitable de mettre en image si on veut que le film inspire l’effort de guerre). C’est le genre de film qui n’est pas marquant, mais dont l’histoire autour est bien plus intéressante que le film lui-même. Churchill avait un but très précis avec celui-ci, et a mandaté Olivier de le faire comme le premier ministre le souhaitait. Ce faisant, en raison du prestige du grand acteur et du contexte particulier, le film est devenu un succès à la fois critique et commercial à l’époque. On raconte d’ailleurs que c’est la première adaptation de Shakespeare valable. Olivier affirme en effet que le cinéma hollywoodien de ce temps avait de la difficulté à porter au grand écran les pièces du dramaturge anglais, et que lui avait opté pour une vision différente, moins conventionnelle, pour raconter l’histoire. Le résultat sera payant, puisqu’il se verra octroyer un Oscar honorifique pour l’ensemble de son travail.
Vu aujourd’hui, par contre, Henry V est très difficile à visionner. De longs monologues en vieil anglais (assurez-vous de trouver une version sous-titrée du film), du drame à son plus shakespearien, des scènes statiques, bref, beaucoup d’éléments qui ont fait peu à peu leur disparition au cinéma avec le temps. Il n’y a aucune véritable construction de personnages, tous moins attachants les uns que les autres. Le dernier acte du film est également assez inutile, du moins superflu, surtout après la bataille d’Agincourt qui, il nous semble, aurait dû constituer la fin de l’histoire. Un film que je ne conseille qu’aux passionnés d’histoire, ou encore aux admirateurs d’Olivier ou de Shakespeare. Pour les autres, c’est un film à éviter.
Fait partie de la Collection Criterion (#41).
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.