Kaleidoscope
*** 1/2
Concept intrigant que celui de Kaleidoscope, la nouvelle série originale de Netflix qui lance la programmation 2023 de la plateforme de diffusion. L’entreprise américaine n’en est pas à ses premières expériences singulières de visionnement (souvenons-nous du film interactif Black Mirror : Bandersnatch qui proposait plusieurs fins alternatives), et cette fois, l’expérience vise à déconstruire le processus narratif du téléspectateur en proposant un traditionnel récit de braquage certes linéaire, mais que l’on peut regarder dans l’ordre qu’on le souhaite. Le concept s’avère-t-il une astuce judicieuse de marketing, ou il ajoute une réelle plus-value narrative? Disons que le tout est une occasion manquée, quoiqu’intéressante.
Résumons le plus brièvement possible l’intrigue, puisque, après tout, une grande partie de l’expérience repose sur les surprises qu’on découvrira d’épisode en épisode. Grosso modo, le braquage, mené par Leo Pap (Giancarlo Esposito), vise Roger Salas (Rufus Sewell), un financier qui protège la fortune des Triplets, un regroupement de trois personnes très riches et qui possèdent de nombreuses obligations, obtenues illégalement. Pap assemble une équipe formée de Bob Goodwin (Jai Courtney), un bouillant spécialiste des coffres-forts et sa femme chimiste Judy (Rosaline Elbay), d’Ava (Paz Vega), une collaboratrice de longue date de Pap, de Stan Loomis (Peter Mark Kendall), et finalement de RJ (Jordan Mendoza), spécialiste des véhicules. Ensemble, ils tenteront de subtiliser plus de 7 milliards de dollars sans se faire prendre par les deux agents du FBI qui les talonnent, Nazan Abassi (Niousha Noor) et Samuel Toby (Bubba Weiler).
Autant le dire tout de suite, Kaleidoscope adopte un récit plutôt classique, et repose en grande partie sur sa déconstruction pour ajouter un tantinet d’originalité au projet. D’entrée de jeu, on nous dit que chaque épisode peut être visionné à n’importe quel moment. Toutefois, Eric Garcia, le créateur de l’émission, a ajouté depuis la sortie qu’il est mieux de se garder l’épisode ‘White‘ pour la fin, ce que Netflix a bel et bien respecté dans son ordre de visionnement proposé. Cependant, l’information ne se trouve à aucun endroit sur la plateforme, et seules des recherches en ligne permettront de retrouver l’information. Cet épisode est en effet centré sur le braquage, alors que tous les autres, dont les titres s’inspirent des couleurs de l’arc-en-ciel, se déroulent soit avant ou après le coup.
C’est une information que j’aurais aimé avoir avant de me lancer dans Kaleidoscope, puisqu’en effet, il y a un réel avantage à se garder l’épisode du vol pour la fin. Ou du moins, il y a un désavantage à l’écouter avant – comme je l’ai fait -, car soudainement, les autres fragments ont vraiment perdu beaucoup d’intérêt. Dans mon cas, c’est en quatrième que je l’ai regardé, ce qui fait que les quatre suivants ont été beaucoup moins révélateurs qu’anticipé. On y apprenait certes quelques bribes d’informations qui m’ont fait reconsidérer tel ou tel élément du braquage, mais en gros, tout l’élément de suspense a été éliminé, puisque je savais concrètement ce qui allait se dérouler.
Cela m’amène à parler des limites du concept exploité ici. Tout de suite, quand j’ai pris connaissance de la déconstruction proposée par la série (et le fait que le choix repose entièrement sur le téléspectateur), j’ai envisagé deux avenues. Soit chacun des épisodes allait mettre l’accent sur l’un des membres de l’équipe, un peu en vase clos, question d’en apprendre un peu plus sur leur passé et les raisons qui les ont motivés à participer au coup, soit on allait voir le braquage de huit façons différentes, selon le point de vue de chacun. Dans mes rêves les plus fous, j’espérais que, dans cette seconde possibilité, on nous fasse voir à chaque fois un élément qui nous amènerait à reconsidérer ce que l’on croyait qui s’était vraiment passé, un peu comme dans un film de Christopher Nolan (ou encore comme dans le récent Coupez!). Le résultat est au final un mélange entre ces deux avenues, beaucoup moins indépendant que je ne l’aurais cru, mais somme toute assez linéaire.
Le récit s’oriente autour du jour du braquage ; chaque épisode se déroule dans les jours, semaines, ou années avant celui-ci, ou encore après ledit coup. Ce faisant, tous les personnages se retrouvent dans chacun des épisodes (à ma surprise), mais la déconstruction n’amène pas beaucoup au récit (à ma déception). Les premiers épisodes visionnés sont assurément les plus intrigants, car, en plus de l’effet de nouveauté, on essaie de relier les points entre les moments clés de chacun de ceux-ci. J’ai amorcé mon visionnement avec ‘Violet‘, qui n’est pas un mauvais point d’entrée, mais qui est le plus indépendant de tous les épisodes. En rétrospective, j’aurais aimé le regarder comme 3e ou 4e épisode, car il contient l’essence même de toute la série. Quoi qu’il en soit, dans les deux épisodes suivants, j’ai pu tirer des conclusions et élaborer des projections sur la façon dont le récit allait se résoudre. L’expérience est intéressante en soi.
Le problème, c’est qu’à mi-parcours, j’ai commencé à décoder les codes du projet. Quand un personnage faisait référence à un événement, je me doutais qu’un autre épisode allait nous le présenter à un moment ou un autre. La magie du concept s’effritait peu à peu, et j’aurais aimé dire que l’histoire avait quelque chose d’assez intéressant pour outrepasser cela, mais ce n’est pas le cas. Peut-être est-ce parce que j’ai visionné l’épisode du braquage trop tôt. Par contre, la série nous est vendue comme pouvant être visionnée dans n’importe quel ordre, non pas dans n’importe quel ordre, sauf ‘White‘ pour la fin. Si Netflix avait mis en place un procédé pour nous bloquer l’accès à cet épisode, qu’on ne peut débloquer qu’en ayant vu chacun des autres épisodes, déjà le tout aurait gagné beaucoup de points, à mon avis. On aurait même pu nous donner un épisode 1 et un épisode 8, et nous laisser naviguer entre les épisodes 2 et 7. Je crois que ça aurait donné un tout plus cohérent que de nous laisser choisir à notre guise.
Il est évident que la série fera parler d’elle, ne serait-ce que par les nombreux articles qui en découleront et qui vous proposeront l’ordre de visionnement idéal de la série. Netflix n’ayant pas, pour l’instant, l’infrastructure nécessaire pour exploiter adéquatement le concept de Kaleidoscope, on peut gâcher notre expérience en ne visionnant pas la série dans un ordre adéquat, malgré tout l’objet promotionnel qui abonde dans ce sens. Peut-être rectifierons-nous le tir dans l’avenir, mais d’ici là, il convient de se renseigner un peu sur la série avant d’y plonger. Je n’ai pas abordé beaucoup d’éléments autres que le concept et son récit convenu, question de préserver un peu de surprise, mais sachez que la distribution est très efficace, quoique chacun des acteurs connus jouent sensiblement le même rôle pour lesquels on les connait. Esposito sort évidemment du lot – son charisme débordant nous fait nous demander pourquoi sa carrière a pris du temps à s’envoler -, et tous les aspects techniques sont au point, ce à quoi on en est venu à s’attendre d’une production Netflix. L’argent est à l’écran, ne restait seulement qu’à concevoir une histoire de braquage digne de l’effort qui y a été mis.
Les images sont une gracieuseté de Netflix.