Les 400 coups
François Truffaut est l’un des réalisateurs les plus influents de la Nouvelle Vague de la fin des années 1950 et du début des années 1960. D’abord critique aux prestigieux Cahiers du Cinéma, il fait le saut derrière la caméra pour appliquer les fameux conseils qu’il prodigue aux réalisateurs qu’il critique dans les pages de la revue. Son premier projet, Les 400 coups, lui vaudra une renommée instantanée, à Cannes d’abord, puis dans le monde. Le récit attachant du jeune Antoine Doinel, autobiographie non assumée de Truffaut, propulsera le grand réalisateur comme l’un des piliers de la Nouvelle Vague et comme porte-étendard de la « politique des auteurs » qu’il a élaborée alors qu’il était critique. Truffaut donnera suite à l’histoire de Doinel dans trois autres films (Baisers volés, Domicile conjugal et L’amour en fuite), mais dont le succès n’égalera pas celui des 400 coups. Tentons d’observer ce qui fait de ce film un classique.
Le récit tourne autour du jeune Antoine (Jean-Pierre Léaud) et sur son enfance difficile. On y observe ses relations tendues avec ses parents (Claire Maurier et Alber Rémy) et son professeur (Guy Decomble), alors qu’Antoine semble les désespérer plus que tout au monde. Le film s’ouvre notamment sur une scène de classe où son professeur l’envoie faire du piquet dans un coin après avoir passé un mot en classe. Alors en punition, il décide d’écrire sur le mur de l’école, seulement pour se faire réprimander encore plus sévèrement par son professeur. Il doit alors faire signer une lettre à ses parents faisant état de sa mauvaise conduite, signature qu’Antoine tentera de copier pour ne pas les alerter. On découvre alors le monde de la famille Doinel : il vit avec une mère plutôt intransigeante et un père sympathique et comique (qu’on apprendra plus tard être son beau-père) dans un minuscule appartement de Paris. On sent déjà qu’Antoine est enfermé, emprisonné dans une situation qu’il voudrait fuir. Il souhaiterait quitter l’école et ses parents pour entamer seul sa vie d’adulte.
L’histoire progresse ensuite à travers divers épisodes de fugues, de mauvais coups et d’escapades à Paris. On y constate déjà plusieurs éléments propres à la Nouvelle Vague. Sortir le cinéma des studios et adopter une approche quasi-documentaire, d’abord, en suivant Antoine et René (Patrick Auffray), son compagnon de classe, alors qu’ils déambulent à Montmartre, près de la tour Eiffel ou encore devant Sacré-Cœur. C’est ensuite un film d’auteur, alors que Truffaut fait la promotion de l’enfance et dénonce une certaine intolérance des adultes envers les jeunes. C’est surtout, enfin, le miroir d’une certaine crise générationnelle qui frappe la France (et le monde en général) à la fin des années 1950. Les 400 coups, c’est en quelque sorte une tranche de vie parmi tant d’autres qui s’inscrit sociologiquement dans l’étude des phénomènes de génération, et qui est le produit immédiat d’une époque. C’est une génération qui verra notamment la fin de la 2e guerre mondiale et les tensions entourant la libération de l’Algérie, et qui en ressortira profondément marquée. Cette crise existentielle a été représentée dans plusieurs grands films de Varda, Godard, Resnais et Rohmer, entre autres, et l’arrêt sur image légendaire qui clôt le film en est souvent l’image la plus marquante.
Les 400 coups s’inscrit désormais dans ce courant, certes. Toutefois, ce n’est pas qu’un exemple parmi tant d’autres du cinéma de la Nouvelle Vague. Sa valeur va au-delà du mouvement, au sens où cette représentation de l’enfance nous interpelle directement, à échelle variable, bien évidemment. Qui en effet ne s’est jamais senti incompris, laissé à soi-même ou encore injustement traité alors qu’on était enfant? Pratiquement personne. C’est un message universel à l’enfant que nous étions et à l’adulte que nous sommes devenus pour être à l’écoute de nos jeunes, et les accepter malgré leurs différences ou la misère qu’ils peuvent nous donner. C’est aussi une quête universelle de liberté, qu’on peine à obtenir, même à l’âge adulte. Je n’ai pas vu les suites des aventures d’Antoine Doinel, mais parions que ce désir de liberté jumelé à une crise existentielle s’y retrouvera également.
Parlons un peu de la distribution. La performance du jeune Jean-Pierre Léaud est tout simplement sublime, malgré le fait que tous ses dialogues ou presque aient été enregistrés en post-production. L’exception survient dans la scène la plus touchante du film, vers la fin, où Antoine répond aux questions d’une psychologue. Cette scène en grande partie improvisée démontre de la compréhension totale de Léaud envers son personnage. Les parents, ensuite, jouent avec une extrême justesse. Maurier est intransigeante, mais pas totalement inhumaine. Rémy, que l’on voit comme étant l’avocat du diable dans cette relation familiale, nous brise le cœur lorsqu’il dénonce Antoine après qu’il a volé une machine à écrire à son travail. Cette dynamique familiale est donc crédible, et il est difficile de ne pas compatir avec Antoine.
Les 400 coups est l’un des films les plus importants de l’histoire. Toutefois, la façon dont on s’identifiera avec Antoine dépendra de notre propre vécu. Après une seule écoute, on peut aisément percevoir toutes les qualités qui en font un grand film. Il pourrait cependant résonner différemment si je l’avais vu plus jeune, ou encore si j’avais des enfants. La présente note représente un visionnement dans un contexte particulier, mais elle pourrait être bonifiée d’ici quelques années. C’est un film qui m’habite même plusieurs semaines après le visionnement, mais qui s’apprécie mieux avec si on a vécu une expérience similaire. Quoi qu’il en soit, il donne envie d’en savoir plus sur la vie de Doinel, et la réponse se trouve heureusement dans ces trois suites qu’a bien voulu nous offrir Truffaut.
Fait partie de la Collection Criterion (#5).
Fait parie des 1001 films à voir avant de mourir.