Les diaboliques
L’un des plus grands classiques du cinéma d’horreur (et aussi du cinéma) est sans aucun doute Psycho (1960) d’Alfred Hitchcock. Qui ne se souvient pas des notes de musique de cette mémorable scène dans la douche ou de l’infâme révélation finale qui a fait plaisir aux esprits freudiens de ce monde! Si Hitchcock a fortement marqué l’histoire avec ce film, peu de gens savent qu’il a été fait à la base pour répondre à Les diaboliques de Henri-Georges Clouzot, film dont vous n’avez peut-être jamais entendu parler mais que vous devez absolument voir.
Les diaboliques, c’est l’histoire de Christina (Véra Clouzot, la femme du réalisateur) et de Nicole (Simone Signoret) entretenant toutes deux une relation amour-haine avec Michel (Paul Meurisse), le directeur d’école où les femmes travaillent (et dont Christina est propriétaire), mari non divorcé de la première et donc amant de la seconde. Après quelques minutes où l’on constate toutes les atrocités dont il est capable auprès de ses employés et élèves, on apprend rapidement que les deux amies échafaudent un plan pour le tuer pendant un long weekend. Christina fait venir Michel dans l’appartement de Nicole à l’extérieur de la ville, le drogue avec un whisky qui l’endort, et le plonge dans la baignoire où Nicole le tiendra sous l’eau jusqu’à ce qu’il ne respire plus. Le plan, toutefois, ne s’arrête pas là. Pour renforcer leur alibi, les femmes reviennent à l’école dans la nuit de dimanche à lundi et jettent le corps du directeur dans la piscine, se disant que quelqu’un finira par le retrouver. Plusieurs jours passent, et Michel ne remonte toujours pas à la surface. Christina fait donc vider la piscine par le concierge et constate que le corps n’y est pas. Commence alors une enquête policière étrange qui donnera des sueurs froides aux complices!
Alfred Hitchcock perd de peu les droits d’adaptation du roman Celle qui n’était plus du duo Boileau-Narcejac. Constitué de Pierre Louis Boileau et de Thomas Narcejac, ils ont écrit ensemble plusieurs romans qu’on a vus au cinéma, notamment D’entre les morts (devenu Vertigo par Hitchcock en 1958). En effet, après le succès de son Salaire de la peur en 1953, lui aussi adapté d’un roman, Clouzot cherche son prochain film et lit cette histoire de suspense que lui conseille vivement sa femme Véra. Le lendemain de sa nuit de lecture, Clouzot fonce pour se procurer les droits, le faisant quelques heures avant que Hitchcock ait pu mettre la main dessus. À sa sortie, Les diaboliques acquiert le statut du film le plus effrayant de tous les temps, jusqu’en 1960 où Hitchcock riposte avec Psycho. On dit que les réalisateurs s’inspiraient l’un l’autre, et les échos sont effectivement nombreux entre les deux films.
Sans entrer dans les détails qui pourraient divulgâcher Les diaboliques (car une note est ajoutée à la fin du visionnement par Clouzot, priant les spectateurs de ne pas parler de la fin du film), on retrouve dans les deux classiques d’horreur les mêmes jeux de fausses pistes et une scène tout aussi remarquable qui prend place dans une salle de bain, ce lieu d’intimité où notre vulnérabilité est grande.
Tout au long du film, il est particulièrement intéressant de constater l’évolution de la couleur des vêtements des deux femmes. Présentées comme une Jackie et une Marilyn, Christina la brune qui porte toujours ses cheveux attachés comme une enfant, est pieuse et refuse de se laisser aller à un divorce en raison de ses convictions, malgré le fait que Michel soit une horrible personne. De l’autre côté, Nicole la blonde aux cheveux courts est plutôt pragmatique et totalement froide dans sa façon d’aborder le meurtre. Nicole est celle qui échafaude le plan et convainc l’autre femme qu’il sera facile d’aller de l’avant. Elle devient ainsi une sorte de mentor, apparaissant comme la plus forte des deux. Ajoutons aussi que Nicole est la maîtresse du directeur, alors que Christina est, de peine et de misère, toujours sa femme.
Les contrastes entre les deux sont nombreux. Nicole est toujours vêtue de noir alors que Christina est toujours vêtue de blanc. Nous noterons cependant que les moments où Christina verse dans une personnalité plus sombre, sa garde-robe s’ajuste en même temps.
L’une des forces de ce film est sans aucun doute les nombreuses fausses pistes que l’on suit aveuglément, pensant qu’on a tellement vu de films avant celui-là qu’on sait exactement où l’on se dirige. Peu importe ce que vous pensez qu’il se produira, vous vous tromperez, jusqu’aux dernières minutes où vous aurez des frissons sur les bras devant l’ingéniosité du scénario.
Dès le début, lorsqu’on nous présente le somnifère que les femmes utiliseront, des élèves les surprennent et en parlent dans la cour d’école. On se dit alors qu’elles sont cuites. Quand elles remplissent la baignoire dans l’appartement, le voisin du dessus note l’heure à laquelle les tuyaux de plomberie se laissent aller à un concert impossible. On se dit alors qu’elles sont cuites. Quand on fait vider la piscine parce que le corps ne remonte pas depuis plusieurs jours, on se met à stresser et on a hâte de voir les complices feindre leur peine de la perte du directeur. Mais quand la piscine est vide, on crie au scandale et on le fait encore plus fort quand on va récupérer le costume fraîchement pressé du directeur dans une chambre d’hôtel à son nom, qu’il aurait demandé lui-même de faire laver.
Les diaboliques a ce don incroyable de nous faire nous poser plusieurs questions pendant le visionnement. Tout comme dans Le salaire de la peur, on se tient sur le bout de notre siège. Ici, on compatit avec les meurtrières et on s’angoisse avec elles pendant plus de deux heures.
Les fans de Columbo remarqueront aisément la ressemblance entre celui-ci et le détective dans ce film (Charles Vanel). Même imper, même cigare, même air de policier qui ne sait pas ce qu’il fait. Quand on le voit arriver, on comprend que Clouzot veut nous amener ailleurs en complexifiant le récit, et on entre dans un nouveau type d’angoisse.
Les diaboliques a énormément de forces et, honnêtement, très peu de faiblesses. Si on trouve que le film repose essentiellement sur le scénario, les décors de ce pensionnat pour garçons et sa grande cour sont tout de même grandioses et les nombreux clins d’œil à la dualité entre les deux femmes sont pour leur part parfaitement dosés. Il est dommage que le film de Clouzot ne soit pas davantage connu, en raison évidente de la réponse de Hitchcock cinq ans plus tard. Toutefois, c’est un suspense qui vous étonnera tout du long et qui vous donnera envie de le proposer à toutes les personnes à qui vous ne pourrez pas en parler, par respect pour Clouzot. Parce qu’après avoir vu ce film, vous voudrez assurément respecter sa demande et vous saluerez même davantage le fait qu’il vous ait soumis à autant de tortures mentales.
Fait partie de la Collection Criterion (#35).
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.
Fait partie du top 100 de Jade (#22).
Fait partie du top 250 d’Alexandre (#77).
[…] ont vu Psycho de Hitchcock, mais peu savent que celui-ci a été fait en riposte à Les diaboliques de Henri-Georges Clouzot. À sa sortie en 1955, le thriller policier français s'est vite imposé […]