Mr. Deeds
La carrière d’Adam Sandler a connu des hauts et des bas. Rarement un favori des critiques, le public a toutefois élevé Sandler au rang des meilleurs comiques de sa génération comme le démontrent ses nombreux succès commerciaux. Si Happy Gilmore s’est probablement établi comme l’une des meilleurs comédies sportives, les réactions envers Billy Madison, The Waterboy et Little Nicky sont plus mitigées. Le début des années 2000 redonne toutefois des ailes à l’acteur, qui enchaîne les succès commerciaux. Mr. Deeds, cette réadaptation du classique de Frank Capra Mr. Deeds Goes to Town, fait partie de ce renouveau, tout comme Big Daddy, Anger Management et 50 First Dates. Bien que moins raffiné que sa version originale, cette histoire d’homme modeste qui hérite d’une fortune malgré lui s’apprécie davantage comme une comédie romantique légère qu’une comédie stupide, et c’est tant mieux.
Lorsque le multi-milliardaire Preston Blake (Harve Presnell) meurt en tentant d’atteindre le sommet du mont Everest, ses actionnaires essaient de trouver son plus proche descendant, Blake n’ayant pas eu d’enfant. Ceux-ci veulent en effet racheter les actions du magnat, qui s’élèvent à environ 40 milliards. Des recherches approfondies parviennent à retracer Longfellow Deeds (Sandler), un homme simple qui possède une pizzeria à Mandrake Falls, New Hampshire, et qui aspire à vendre un jour une carte de souhaits à la compagnie Hallmark. Chuck Cedar (Peter Gallagher) et Cecil Anderson (Erick Avari) font donc le voyage pour amener Deeds à New York et lui faire signer les papiers du rachat.
La presse, friande de potins, veut toutefois connaître l’identité de ce mystérieux héritier. C’est la mission que se donne Babe Bennett (Winona Ryder), une jeune journaliste qui travaille sous la direction de Mac McGrath (Jared Harris), le chef d’une station de télévision sensationnaliste. Voulant obtenir une promotion, elle met en scène une fausse tentative de vol pour que Deeds la sauve et éventuellement qu’il se rapproche d’elle. Ce qui devait arriver arriva, et les deux tombent amoureux l’un de l’autre, bien que Bennett, sous le pseudonyme Pam Dawson, doive vivre avec la culpabilité de sa double vie et de sa malhonnêteté envers Deeds.
Il y a habituellement peu de surprises quand on visionne une comédie d’Adam Sandler. Je précise « comédie » puisqu’il nous a démontré à quelques reprises (dans Punch-Drunk Love, Funny People et Uncut Gems, notamment) qu’il avait plus à nous offrir que ce que ses succès commerciaux laissent présager. Sandler s’est forgé une solide réputation dans le milieu, ce qui a incité de nombreux réalisateurs prestigieux à vouloir travailler avec lui. J’avoue moi-même avoir un faible pour certains de ses films, dont plusieurs que j’ai regardés lorsque j’étais adolescent et qui m’ont laissé une impression durable. C’est étonnamment le cas de Mr. Deeds, en quelque sorte mon go-to en matière de comédie légère. Alors que mon regard critique de cinéphile est aujourd’hui bien plus aiguisé qu’il ne l’était à l’adolescence, j’y ai encore étonnamment une fois trouvé mon compte lors de mon plus récent visionnement.
Il serait facile de critiquer tout ce qui fonctionne moins bien dans Mr. Deeds, des éléments qui, d’ailleurs, se retrouvent dans de nombreux autres films de Sandler. Oui, il y a de l’humour physique inutile et ridicule, comme lorsque Deeds vient en aide à une femme et ses chats dont l’appartement est en feu, ou encore quand il se fait marteler le pied par son majordome Emilio Lopez (John Turturro) avec un tisonnier. Oui, les personnages sont caricaturaux et manichéens. Il n’y a en effet pas plus vilain que Chuck Cedar, ce capitaliste fini, ou encore plus gentil et attentionné que Deeds (sauf lorsqu’on le provoque). Non, le concept de base, cet héritage d’un lointain parent décédé qu’on a tous souhaité à un moment ou l’autre, n’a pas de sens. Mais ce sont tous des éléments qu’on peut pardonner si, dans l’essence même du film, le message est valable. Et ici plus que dans plusieurs autres comédies du genre, le fond est bon et juste.
Mr. Deeds, c’est fondamentalement un récit anti-capitaliste, qui prône un retour aux vraies valeurs qui ont peu à peu été perdues, camouflées derrière le concept du rêve américain et de la quête de succès. C’est aussi une histoire sur l’individualisme métropolitain, en opposition au communautarisme villageois. Mais c’est d’abord et avant tout un criant appel à demeurer soi-même, peu importe les bons ou les mauvais coups de la vie. Deeds, malgré tous les milliards qu’il peut recevoir, tente de vendre ses cartes à Hallmark, symbole par excellence de la réussite selon lui. Il peut sembler surprenant que ce type de discours surgisse d’une production hollywoodienne, et c’est peut-être un « passe-droit » qu’on a octroyé à la production en raison du succès du film des années 1930 (et de la nouvelle dont il est inspiré). C’était un message assez courant dans le contexte particulier de l’époque, et ce remake nous démontre que bien peu a changé après près d’un siècle.
Il ne faut évidemment pas visionner ce film en s’attendant à voir un chef-d’œuvre ou une étude de personnage approfondie. Toutefois, il possède les caractéristiques de base qui en font une comédie romantique efficace. Son humour fonctionne généralement bien (et on n’essaie pas de tirer de force un rire chez l’auditoire), sa trame sonore composée de musique populaire est intéressante et les personnages sont attachants. La distribution est plus qu’adéquate, elle qui regroupe notamment Ryder, Harris (dans un rôle beaucoup moins sérieux qu’à l’habitude) et Turturro, ainsi que quelques habitués de Sandler comme Steve Buscemi, Rob Schneider et Allen Covert. Sandler est fidèle à lui-même dans le rôle du bon gars amical aux valeurs à la bonne place. J’ai toujours trouvé que l’acteur excelle lorsqu’il n’essaie pas d’en faire trop, lorsqu’il ne joue que l’homme ordinaire moyen, par opposition à ses personnages plus excentriques comme Billy Madison, Jack/Jill ou plus récemment Hubie Halloween. Sandler manque certainement de portée, mais il demeure efficace tout de même.
On rira peut-être moins dans Mr. Deeds que dans Happy Gilmore ou The Waterboy, mais ce manque d’humour est compensé par un certain réconfort qui nous habite au long du visionnement. On sait très bien que Deeds et Bennett (alias Pam Dawson) vont finir ensemble, que les 40 milliards seront réinvestis intelligemment et que Sedar paiera pour son inhumanité. Je suis rarement dans l’état d’esprit pour écouter des comédies légères qui ne me stimulent pas assez intellectuellement, mais quand j’ai envie d’un low-brainer, c’est souvent vers ce film ou 50 First Dates que je me tourne. J’ai encore des souvenirs des nombreuses fois où je l’ai regardé étant plus jeune, et cet attachement émotionnel subjectif est difficile à transcrire en critique objective, alors j’assume pleinement le fait que Mr. Deeds fasse partie de mes plaisirs coupables.