Gisaengchung (Parasite)
Cette critique a d’abord été publiée dans le journal Le Collectif. Pour consulter la critique originale, cliquez ici.
Malgré les grosses pointures présentes au 72e Festival de Cannes plus tôt cette année, Parasite s’est vu récompensé de la Palme d’Or dans l’unanimité la plus totale du public et du jury. En compétition contre les Tarantino, Malick, Jarmusch, Loach, Almodóvar, Kechiche, Dolan et les frères Dardenne (qui ont tous remporté de nombreux prix sur la Croisette), Joon-ho Bong (Snowpiercer, Okja) est parvenu à décrocher les grands honneurs, une première dans l’histoire du cinéma sud-coréen. Après plusieurs mois d’attente, le public nord-américain peut finalement se régaler du meilleur film étranger de 2019.
Une éternelle lutte de classes
Le récit suit les Kim, des escrocs de second ordre, luttant constamment pour se sortir de leur précarité. Vivant dans un demi-sous-sol au sein d’un quartier malfamé, ils comptent sur les revenus de la confection de boîtes à pizza en carton et sur le wifi du café le plus près pour survivre. Puis, un jour, un ami de Ki-woo (Woo-sik Choi) lui annonce son départ vers l’université, et lui suggère de prendre le poste de tuteur d’anglais qu’il occupe au sein d’une famille riche de la ville. Ki-woo accepte et, après une courte période de probation, est officiellement engagé par les Park. Voyant l’opportunité de finalement se sortir de la misère, les Kim élaborent un complexe stratagème pour faire congédier les différents employés des Park (chauffeur, professeur d’art et femme de ménage) pour prendre leur place.
Si le scénario, somme toute assez banal d’entrée de jeu, semble familier – des parallèles avec la série Les Bougon ou le drame japonais Shoplifters récipiendaire de la Palme d’Or l’an dernier – le film prend une tournure inattendue après la première heure. En dévoiler plus serait impossible sans gâcher la surprise, mais alors que la première partie se situe plutôt dans la comédie cynique, la seconde partie verse plutôt dans le thriller dramatique, dans un amalgame bien dosé et bienvenu. Ce changement de ton est très bien géré par le réalisateur, qui co-signe le scénario avec Han Jin Won.
L’humour fonctionne bien malgré qu’il soit caricatural. La famille Kim est dépeinte comme ingénieuse et cynique face au capitalisme violent de la Corée du Sud, alors que les Park sont présentés comme de riches niais sans véritable considération pour le « petit peuple ». Si quelques blagues sont bien pensées, c’est plutôt le thriller qui fait la force de Parasite, alors qu’il nous tient en haleine jusqu’à la fin en jouant toujours avec l’inquiétante étrangeté et nous fait vivre des émotions viscérales auxquelles on ne pourrait s’attendre. Le scénario peut se narguer d’avoir une profondeur insoupçonnée qui remet en question, non pas de façon originale mais tout de même efficacement, le capitalisme et la lutte des classes.
Une réalisation exemplaire
Si le scénario est efficace, les aspects techniques qui l’entourent sont brillamment exécutés. Pensons d’abord à la maison moderne dans laquelle se situe la majorité de l’action. Elle agit véritablement comme l’un des personnages, avec sa sonnette banale (mais qui ajoute à l’ambiance dramatique), ses pièces épurées et ses nombreuses fenêtres qui contribuent toutes à créer cette angoissante très réussie. Cette maison occupe une place centrale un peu comme le ferait un vieux château dans un film d’horreur.
La maison à elle seule ne suffit pas, il faut également savoir bien la présenter. À cet égard, la direction photo est tout simplement sublime, avec des teintes très froides où le gris, le vert et le bleu font ressortir l’étrangeté, et où la lumière joue un rôle important. Les images sont très soignées, et il est à parier que Parasite pourrait décrocher quelques nominations supplémentaires aux Oscars (en plus de celui de meilleur long-métrage étranger). La musique, discrète mais efficace, vient couronner le tout, frôlant l’excellence technique
Un dernier mot sur le jeu des acteurs et actrices. Tous et toutes jouent à perfection, mais il se dégage un charisme certain chez Ki-taek Kim (Kang-ho Song), le père de famille austère mais attachant, tout comme chez Yeon-kyo Park (Yeo-jeong Jo, dans un premier rôle d’envergure) qui interprète avec brio le rôle de la mère bourgeoise. La chimie qui opère au sein des deux cellules familiales est tout simplement parfaite.
Un film accessible
Certaines personnes sont rebutées par les films qui remportent des prix d’importance. Les critiques et l’auditoire n’ont en effet pas souvent la même opinion, puisque ces deux publics ne recherchent pas tout à fait la même chose lors d’un visionnement. Très rares sont les productions qui font l’unanimité. Parasite est toutefois l’une des exceptions à la règle, étant très grand public, au sens où il est assez universel dans ses thématiques et dans sa construction générale. Il est également très divertissant, surtout dans sa seconde moitié. Il jouit aussi d’une certaine profondeur, que les critiques apprécieront à tout coup (dynamique de lutte de classes, message social fort, empathie envers les personnages, etc.)
N’étant pas à proprement dit rassembleur comme un film de Marvel peut l’être, il ne déboutera pas un auditoire en quête de sensations fortes et d’une belle expérience cinématographique. Parasite se veut en effet très accessible et pour tous les publics. Son seul défaut est peut-être sa présentation en version originale sous-titrée, qui pourrait en décourager plus d’un. Il faut tout de même avouer qu’une plus grande place est faite au cinéma international : à l’heure des Netflix et autres plateformes de streaming, nous sommes maintenant habitués aux versions originales. On ne peut que souhaiter que Parasite rejoigne son public, puisqu’il est assurément le meilleur film étranger cette année, sinon le meilleur de 2019 tout simplement.
Fait partie de la Collection Criterion (#1054).
Fait partie des 1001 films à voir.
Fait partie du top 250 d’Alexandre (#35).
Fait partie du top 50 de Camille (#39).