The Most Dangerous Game
Dans les années 1920, un des passe-temps favoris des riches américains était de s’adonner à des parties de chasse au gros gibier en Afrique (big game hunting). Ce jeu, qui était particulièrement à la mode, a inspiré l’auteur Richard Connell à imaginer une histoire où le personnage principal deviendrait l’objet de chasse d’un comte russe sur une île. En 1924 paraît donc la nouvelle de moins de 10 000 mots The Most Dangerous Game. Quelques années plus tard, Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack s’intéressent à l’histoire et tentent de l’adapter en un long métrage ; un défi considérant la taille du matériel original. Le film des réalisateurs bien connus pour King Kong sera donc la première instance de multiples adaptations de la nouvelle tant au cinéma qu’à la télévision ou même à la radio.
Bob Rainsford (Joel McCrea) est un « big game hunter » et fier de l’être qui adore la position de pouvoir qu’il a lorsqu’il chasse. Quand le yacht à bord duquel il voyage fait naufrage près d’une île et que tous les hommes avec qui il s’y trouvait se font manger par des requins, Bob tente de trouver refuge sur l’île et arrive au château du compte Zaroff (Leslie Banks). À son arrivée, Bob rencontre Eve (Fay Wray), qui loge au château en attendant de pouvoir repartir à bateau et tente d’aviser le nouvel arrivant de ne pas faire confiance à son hôte. Après que Bob et Eve découvrent la salle des trophées de chasse du comte (qui sont en fait des têtes d’hommes), celui-ci propose à Bob de le joindre dans ses jeux. Indigné, Bob refuse, et devient la nouvelle proie du comte. Bob et Eve devront donc réussir à survivre pendant une nuit entière sur l’île, alors que le comte et ses chiens partiront à leur recherche.
Si l’un des défis fréquents d’une adaptation cinématographique est de proposer un résultat concis du matériel original, force est d’admettre que c’est plutôt l’effet inverse qui s’est produit ici. En effet, avec une nouvelle de moins de 10 000 mots, Pichel et Schoedsack ont dû ajouter des personnages et des trames narratives pour réussir à arriver à un long métrage de longueur respectable (le film ne fait au final que 63 minutes). Dans les changements apportés, on compte notamment que l’histoire originale n’accueillait que Bob sur l’île avec le comte. Le personnage d’Eve a donc été créé pour les besoins du film, d’abord pour pouvoir le rallonger, mais aussi et surtout pour vendre l’idée aux spectateurs et tenter de mousser le box-office en ajoutant une intrigue amoureuse au récit. Mentionnons aussi que la chasse présentée dans l’histoire de base s’échelonnait sur trois jours, alors que dans le film il n’est question que de quelques heures.
Je ne sais pas comment les journées se traduisaient dans la nouvelle, mais dans le film, malgré sa courte durée, on a parfois l’impression que les scènes s’étirent inutilement. Il faut dire que l’on entre rapidement dans l’action. Le temps passé sur le yacht est particulièrement court, et il faudra encore moins longtemps pour que les personnages meurent dévorés par des requins. Quand l’intrigue débute véritablement, on compte trois parties au film. On est d’abord accueillis au château, puis on vit les quelques heures de chasse, pour revenir ensuite au château pour le dénouement. Malgré cette division, la nuit de Bob et Eve sur l’île semble très longue, surtout parce que les éléments et la façon de les présenter se répètent et qu’on a l’impression d’être toujours devant les mêmes décors. En fait, on assiste dans cette partie à de multiples guet-apens que les personnages tendront au comte, pour que celui-ci les constate et les évite. Chaque nouvelle idée est donc présentée en moins de cinq minutes, et il y en aura beaucoup.
Si on accepte ce recyclage narratif, on pourra trouver que les décors sont très beaux, mais il conviendrait de préciser qu’on a l’impression, en regardant le film, qu’on se trouve dans Gilligan’s Island ou King Kong (avec raison, puisqu’on a utilisé les mêmes décors que dans ce dernier question de rentabiliser les projets des deux réalisateurs). Tout semble faux, mais ce n’est pas particulièrement dérangeant visuellement. On pourra toutefois ressortir avec le sentiment qu’on a regardé les mêmes quelques pieds de décors qu’on a replacés et réarrangés pour les besoins des scènes.
Malgré tout, The Most Dangerous Game demeure un excellent divertissement. Si on ne ressent pas toujours l’angoisse quant à la victoire des héros, on parvient certainement à ressentir un malaise et même une certaine peur face au personnage du comte Zaroff ou de son homme à tout faire Ivan (Noble Johnson, dans l’une des premières et rares utilisations d’une white face dans ce rôle). Notons par ailleurs que les acteurs surjouent à toutes les scènes, probablement en raison du passage récent du cinéma muet au cinéma sonore. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose ici, car cela ajoute un peu au ridicule et au plaisir qu’on y trouve. La scène de la confrontation finale pour sa part réussira certainement à nous amener sur le bout de notre siège tant la chorégraphie est bien rendue.
Si la nouvelle a été à la base de multiples adaptations, la thématique du « big game hunting » a été vue dans maintes fois depuis, que ce soit en littérature ou au cinéma, les occurrences les plus connues étant sans aucun doute Battle Royale, Hunger Games, The Purge ou Ready or Not. Il serait difficile de savoir à quoi attribuer ces « remakes » entre le récit et le film, mais avec leur long métrage de 1932, Pichel et Schoedsack ont certainement posé les bases d’un genre repris et réinventé à chaque nouveau projet. En plus de ces répercussions certaines, c’est aussi à ce film que l’on doit l’invention du Paintball, les créateurs du jeu de guerre ayant voulu recréer ce sentiment que l’on ressent lorsqu’on est la proie d’un chasseur.
En visionnant ce court film, vous vous retrouverez donc devant une histoire simple et, avouons-le, tordue, particulièrement bien exécutée malgré le côté risible des situations, des personnages trop expressifs et des décors que l’on sent faux. À mi-chemin entre la comédie et le film d’horreur, sans être de la catégorie des « so bad it’s good », The Most Dangerous Game tire son épingle du jeu et arrive, finalement, à presque atteindre le statut de classique.
Fait partie de la Collection Criterion (#46).