The Prestige
The Prestige fait assurément partie des films que j’ai le plus souvent visionnés. D’emblée, son environnement londonien de la fin du 19e siècle a tout pour plaire entre les accents, les rues brumeuses, les couleurs sombres et les costumes d’époque. J’ai vu le film pour la première fois lors de son passage au cinéma en 2006 et dès le générique, j’ai eu envie de le revoir, car comme plusieurs des films de Christopher Nolan, The Prestige bénéficie grandement de plusieurs visionnements, une fois le choc de la première expérience passé. La deuxième fois, alors que je savais davantage à quoi m’attendre, les révélations finales ont pris un tout autre sens et j’ai éprouvé nettement plus de plaisir. Je l’ai ensuite proposé à tout le monde qui me demandait une suggestion, parce que je n’avais jamais rien vu de tel, puis je l’ai redécouvert encore et encore à de nombreuses reprises, jusqu’à mon expérience la plus récente, où j’ai réussi à porter attention à de multiples détails dont je n’avais jusque-là jamais saisi l’importance. Qu’un film réussisse encore à nous surprendre, malgré qu’on le connaisse par cœur, relève du miracle. En regardant dans l’ordre les multiples projets du réalisateur, on remarque certaines tendances et thématiques qui se dégagent de l’ensemble de son œuvre. Je demeure convaincue que mes plus récentes épiphanies proviennent de ce contexte particulier où j’ai regardé les projets de Nolan dans l’ordre et de façon rapprochée. Quinze ans après sa sortie, rares sont ceux qui n’ont pas encore eu le plaisir de plonger (au moins une fois) dans The Prestige. Critique d’un film presque parfait et assurément l’un des meilleurs du réalisateur.
Robert Angier (Hugh Jackman) et Alfred Borden (Christian Bale) sont deux magiciens qui se livrent à une bataille sans merci dans le but d’être reconnu comme le meilleur de leur profession. Après un tour qui se termine mal provoquant la mort de la femme de Robert (Piper Perabo), les deux hommes, alors collègues, se séparent et tentent de réinventer leur art, non sans sacrifice. S’ils n’hésitent pas à exposer le secret de tours plus simples devant les spectateurs de leur opposant, se blessant l’un l’autre au passage, leur rivalité devient plus grande que ce qu’ils avaient anticipé quand Borden présente un nouveau tour en apparence impossible, « l’homme transporté ». Ayant réussi à mettre la main sur le journal intime de Borden, Angier tentera d’obtenir le secret du tour de sa Némésis, en engageant une nouvelle assistante charmante (Scarlet Johansson) et en tirant profit des essais scientifiques de Tesla (David Bowie) en matière d’électricité.
Comme plusieurs autres projets de Nolan, The Prestige nous est présenté de façon non-linéaire et il revient aux spectateurs de placer les scènes dans le bon ordre. À la différence de Memento ou Following, cependant, la trame de fond semble plus facile à reconstruire. À des événements centraux qui se produisent dans un ordre chronologique se greffent de nombreuses scènes qui prennent place avant ou après ceux-ci, et plus le récit avance, plus il devient facile de comprendre l’enchaînement et les liens qui unissent tout ce que l’on voit.
Au-delà de la déconstruction, caractéristique des films de Nolan, l’une des grandes forces du Prestige tient dans ses textes, qui mènent tous à leur façon vers les révélations finales. En fait, dès le début du film, alors que l’on entend la narration, on se sent déjà interpelé. « Are you watching closely? » nous demande-t-on alors qu’on voit des images de chapeaux dans une forêt. Malgré tout ce qu’on peut croire, on ne regarde jamais vraiment de si près ce qui nous est présenté… « [we] want to be fooled« . Puis, la narration s’accélère. On nous parle des trois actes d’un tour de magie ; The Pledge, The Turn et The Prestige. Puisqu’on a bien en tête le titre du film qu’on regarde, on se dit qu’il faudra effectivement porter attention, car le film devra assurément être construit comme un tour de magie, avec une révélation plus grande que nature à la fin, n’est-ce pas?
À ce titre, on ne pourrait pas être mieux servi que dans ce film. J’ai toujours eu un faible pour ces projets qui nous présentent dès le départ leur punch final sans qu’on puisse en être conscient, et qui prennent plaisir à reconstruire le tout pour nous exposer en pleine figure tous les éléments qu’on a manqués ou, plutôt, pas compris. The Prestige regorge de ces techniques, qui passent essentiellement par les lignes de textes parfois étranges des personnages. Les indices sont ainsi parsemés au travers de dialogues tels que « I have fought with myself over that night, one half of me swearing blind that I tied a simple slipknot, the other half convinced that I tied a Langford double« . Lorsqu’on sait ce qui nous attend, on félicite le film de jouer avec ses spectateurs de cette façon. Et si on n’a jamais vu le film, on n’y porte même pas assez attention pour se dire qu’une ligne comme celle-là est significative.
En fait, après une vingtaine d’expériences, je peux affirmer que le sentiment qui nous habite pendant le visionnement, dans ce cas-ci encore plus que dans les autres projets du réalisateur, en est un avec lequel on aura une relation douce-amère. D’un côté, il y a un indéniable charme à regarder un film et penser qu’on comprend ce qui se passe, pour être complètement subjugué à la fin. De l’autre, on peut perdre l’intérêt quelque part entre les trois actes. Quoi qu’il en soit, et malgré ce qu’on pourrait croire, Nolan nous dit T-O-U-T ce que l’on doit savoir dès le départ, que ce soit par des tours que les magiciens vont voir ou par les costumes qu’ils utilisent lors de leurs spectacles. Tellement, que ça peut devenir gênant de ne pas saisir dès le premier visionnement ce dont il est question. Pour ceux qui connaissent le film par cœur, il y a toujours quelques couches qu’on n’avait pas totalement saisies lors des visionnements précédents. Cette année, je suis confiante de dire que j’ai tout capté. Et comme le projet m’a charmée dès 2006, j’ai eu énormément de plaisir à me rendre où j’en suis aujourd’hui. À mon prochain essai, je suis convaincue que certains détails que j’ai remarqués plus récemment ne me seront pas restés, et que je vais peut-être les redécouvrir en pensant que je ne les avais jamais vus avant. Qui sait!
Cela dit, le film n’est pas qu’un cheminement vers la (parfaite) scène finale. À travers son combat de magiciens, The Prestige propose des réflexions intéressantes sur l’art et le sacrifice. Jusqu’où iront Angier et Borden pour connaître la gloire? Au terme du visionnement, on ne peut pas affirmer que l’un ou l’autre ont « gagné » comme ils l’auraient voulu. Ils auront perdu des amantes, se seront blessés sérieusement, auront aussi un peu perdu l’esprit dans cette quête apparemment sans issue, jusqu’à réaliser finalement que le truc dont il est question dans le film n’a pas véritablement de réponse magique. Chacun tentera de présenter l’homme transporté à sa manière, au prix d’énormes souffrances physiques et mentales. Encore là, Nolan nous le dit clairement à travers son personnage de Tesla, « Have you considered the cost of such a machine? » référant davantage à ce que l’obsession viendra à coûter à Angier qu’au prix de la technologie qui lui est présentée.
Il est plutôt difficile de proposer une critique de ce film sans en dévoiler les révélations finales. Cependant, The Prestige est à mon avis l’un des films les plus réussis de Nolan, car il est engageant, complet, charmant et je dirais même provocateur. Si j’ai déjà quelques prédispositions favorables envers son sujet et son exécution, jamais un de mes visionnements ne m’a laissée sur ma faim, et chacun de ceux-ci m’a plutôt fait l’effet contraire, au sens où j’ai senti que je pouvais aller chercher quelque chose de plus chaque fois. Quand on a accepté qu’on voulait être floué, The Prestige est probablement l’un des meilleurs de son genre.
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