The Prom
Ryan Murphy est plus souvent qu’autrement à la barre de projets mettant à l’avant la communauté LGBTQ+. Sa série Glee, comédie musicale dans un univers à la Degrassi, s’est mérité au fil de ses saisons plusieurs distinctions autant pour les performances des acteurs que les chansons, les costumes, l’écriture ou la réalisation. Récemment, Murphy a imaginé le rêve américain vécu dans l’âge d’or hollywoodien, avec Darren Criss (Blaine de Glee) dans le rôle de l’un de ses personnages principaux. On retrouve dans Hollywood la même chaleur léchée que dans la précédente série, malgré la surutilisation du sépia. Encore une fois, le projet se veut totalement inclusif en représentant l’homosexualité sous toutes ses formes dans le star-système. C’est donc sans surprise que The Prom traite (encore) du même sujet, même s’il le fait différemment, du moins dans sa forme.
Emma (Jo Ellen Pellman) veut inviter sa partenaire du même sexe au bal de l’école. Conformément au règlement de l’établissement, on ne peut être accompagné que d’une personne du sexe opposé au bal. Ce faisant, le groupement des parents décide d’annuler la célébration de fin d’année, et Emma devient la cible des représailles de ses collègues de classe. Au même moment, à Broadway, Dee Dee Allen (Meryl Streep) et Barry Glickman (James Corden) sortent leur nouveau spectacle sur la vie des Roosevelt, Eleanor!, et se font détruire par les critiques. Leur carrière étant au plus bas, ils sont joints par un ancien de la réputée académie Julliard, Trent Oliver (Andrew Rannells, Girls), qui est maintenant barman près du théâtre, et Angie Dickinson (Nicole Kidman), une choriste qui aspire à jouer Roxie Hart dans Chicago, rôle qu’on a plutôt donné à Tina Louise (Ginger, dans Gilligan’s Island). Alors que les vedettes tentent de trouver une nouvelle source de bonheur, ils ont l’idée de confondre leurs détracteurs en s’associant à une cause qui redorera leur image publique. Une visite rapide de Twitter leur apprend le cas d’Emma en Indiana, et il n’en fallait pas plus pour que le quatuor s’y rende pour tenter de sauver le bal, mais surtout de redorer leur blason auprès de la presse à sensations!
Le principal élément d’une comédie musicale réussie réside dans ses chansons. Les numéros sont ajoutés à même la trame narrative pour qu’un personnage nous livre ses états d’âme, et faire rimer les paroles devient secondaire, puisqu’on expose des situations courantes à travers celles-ci. Ainsi, on peut se retrouver dans un fantasme où l’on construit une voiture pour gagner une course (« Grease Lightning », Grease), dans un entraînement de basketball où l’envie de chanter est confrontée à celle de pratiquer le sport (« Get Your Head in the Game », High School Musical) ou encore à table avec des chandeliers vivants quand on arrive au château d’une Bête (« Be our Guest », Beauty and the Beast). Les prétextes à inclure des chansons dans les comédies musicales sont donc nombreux, et à cet effet, The Prom s’inscrit dans la tradition de son genre. Cela dit, on ne trouve absolument pas notre compte ici avec les récits rapportés par les mélodies. Chacun des moments chantés est plutôt fade, à commencer par la scène où Emma réalise que son passage au secondaire tire à sa fin, et qu’elle pourra être gaie autant qu’elle en a envie lorsqu’elle quittera sa ville natale. Il est plutôt difficile d’imaginer la bande originale du film comme devenant rassembleuse au même titre que celles nommées plus haut. À choisir, j’entonnerais davantage « You’re the One That I Want » que « Just Breathe« , dont on peine à se rappeler des mots, et dont la mélodie n’est aucunement accrocheuse.
Au-delà des chansons, The Prom présente une situation qu’on a vue de nombreuses fois avant, et il ne le fait pas mieux qu’ailleurs, au contraire. La copine d’Emma n’a pas fait son coming-out, et sa mère (Kerry Washington), qui siège sur le conseil d’administration de l’école, est l’antagoniste principale d’Emma tout au long du film. À mi-chemin entre la pression qu’elle ressent de part et d’autre, Alyssa (Ariana DeBose), ne sait plus sur quel pied danser, et décide plutôt de ne rien faire, jusqu’à la toute fin du film où elle criera être amoureuse de sa copine, devant tous les autres élèves (et sa mère), qui, on s’y attendait, quitte le gymnase en reniant sa fille, pour revenir quelques minutes plus tard et l’aimer inconditionnellement. Et que dire des autres élèves? L’idée qu’on annule le bal seulement parce que l’une d’entre elles a voulu amener sa copine est déjà répugnante en 2020, mais tout au long du récit, quatre élèves seront particulièrement opposés à l’idée qu’Emma puisse goûter au bonheur. Tout change cependant lors d’un numéro sur la Bible (eh oui), où l’on répète jusqu’à vomir dans un centre commercial « Love Thy Neighboor » et qu’ils réalisent qu’ils devraient aimer Emma. On est loin du simple « vivre et laisser vivre » ici, et on aurait pu se passer de l’idée selon laquelle tout le monde devrait s’aimer et devenir amis. Accepter l’homosexualité d’Emma aurait été suffisant.
The Prom est avant tout une production sur Broadway. On ne peut donc pas attribuer exclusivement à Murphy ce qui fonctionne moins dans la version cinématographique, puisque ce dernier s’est collé au spectacle et en a repris la trame narrative, les couleurs, l’éclat et les chansons. L’idée à la base du récit est bel et bien recevable, mais il me semble que le chemin qu’on prend pour la mettre de l’avant soit trop criant, rendant le tout hautement inconfortable. Et quand on regarde de plus près à la relation entre Emma et Alyssa, on ne peut s’empêcher de la trouver beaucoup moins convaincante que plusieurs autres avant elle au cinéma. Pour un film qui veut rendre justice à l’amour interdit, on passe en définitive trop peu de temps avec les amantes, qu’on sent particulièrement mécaniques lorsqu’elles se font face. C’est un film flamboyant qui en l’apparence souhaiterait changer les changer les mentalités, mais qui tente de nous gaver de son inclusion et sa diversité sexuelle. En 2020, nous en sommes, à mon avis, à un cinéma davantage sensible aux préoccupations de la communauté LGBTQ+, ce dont les créateurs de The Prom ne semblent pas au fait. De même, si la première heure est somme toute acceptable, on s’enfonce dans un puits de clichés, jusqu’à la conclusion maladroite qui ne récompense assurément pas le visionnement. Alors si les chansons ne sont pas efficaces, si le propos est incohérent et si on peine à trouver notre compte avec les personnages principaux (ou secondaires), que nous reste-t-il? Beaucoup de paillettes et du narcissisme à un niveau presque inégalé.